Conte dramatique de Bertolt Brecht, mise en scène de Elisabeth Hölzle, avec Marc Allgeyer, Daniène Giraud, Maria Gomez, Marion Lécrivain, Stéphanie Liesenfeld, Jean-François Maenner, Jean-Luc Mathevet, Laure Mathis, Jean-Pierre Rouvellat et Grégoire Tachnakian.
"Jean La Chance" est une pièce que Berthold Brecht aurait écrite en 1919 à l’âge de 21 ans. Il s’inspira du conte des frères Grimm : "Hans im Glück".
"Jean La Chance" est un titre des plus ironiques. Quelle est la chance de Jean ? Pauvre Job qui se voit ravir ce qu’il possède par plus habile que lui. Homme qui appartient à la nature, qui sait contempler les ciels changeants, et la variété des saisons , il ne comprend pas la perfidies des discours. A la merci d’une humanité hostile tout occupée à spolier et à asservir en travestissant les mots et les sentiments, Jean est une figure de dépossédé et de martyr.
Simple ou idiot, aucune des ses expériences n’est pour lui une source d’enseignement. Il ne se méfie pas d’autrui, il ne sait se garder des déclarations trompeuses et des marchandages iniques. Alors comiquement, tragiquement, les êtres et les biens disparaissent tour à tour. La répétition des mêmes situations avec quelques variations, autour d’un même personnage immuable, obéit au rythme du conte ou de la chanson populaire.
Jean finit oublié des hommes, oublié de Dieu : l’artisan ou fruit d’un discours manipulateur, qui ne s’adapte plus au monde d’aujourd’hui.
La metteur en scène, Elizabeth Hölzles, avec une belle maîtrise, audace et humour, transforment les personnages en figures de conte, un peu poupées, un peu automates. Elle propose une incarnation du destin, habillée de rouge, Parque de la mythologie qui agit à l’instar d’une marionnettiste.
Tandis que Jean est comme nimbé dans une lumière christique, il semble nu en comparaison avec ses compagnons habillés de démesure, de costumes épais, redimensionnés par des prothèses : là des seins, là des ventres. Entend-on encore leur cœur d’hommes et de femmes, quand celui de Jean lui dicte encore de secourir plus malheureux, plus affamé que lui ? Tout ici semble se vendre et s’acheter.
Jean fait naître un sentiment ambigu, il est à la fois attachant, à la fois irritant dans sa confiance extatique que rien ne trouble. Pourquoi ne voit-il pas que comme les nuages dans le ciel, les hommes sont changeants ? Mais n’est-ce pas le propos de Brecht que de déplacer la révolte et la rébellion de Jean dans l’esprit du spectateur ?
Se demande-t-il, et nous avec lui, si ce siècle a encore
le souci de l’humain ? Nous vous recommandons vivement
d’aller à La Courneuve, la salle est à dix
minutes du RER, car "Jean la Chance" est une pièce
qui pourrait vous transformer.