Comédie
de Agota Kristof, mise en scène de Didier Moine, avec
Yvan Chevalier, Patrick Dray et Julien Leonelli.
John et Joe, deux copains fauchés, se retrouvent régulièrement
pour boire un verre ensemble. Une façon de tromper leur
ennui et de rêver à des lendemains meilleurs. Jusqu’au
jour où le billet de loterie de Joe, atterri dans la
poche de John, va se révéler être gagnant
et les éloigner.
Quelle bonne surprise que cette pièce d’Agota
Kristof, mise en scène avec énormément
de finesse et d’intelligence par Didier
Moine.
La brillante scénographie de Patricia
Rabourdin (un bar à la vertical dans lequel de
part et d’autre, sont encastrées des marches qui
servent de sièges pour les personnages), nous immerge
dans un univers poétique qui sublime cette histoire entre
deux compères, cocasses en diable, dont le rapport est
celui du clown blanc et de l’auguste.
Tout s’oppose chez eux et tout est prétexte à
sourire pour le spectateur qui prend vite fait et cause pour
Joe, dont la naïveté et la simplicité sont
touchantes. La confrontation de leur quotidien fade avec le
monde d’illusion du café et de son étrange
serveur va faire basculer cette fable dans la fantasmagorie.
Avec un texte dépouillé et des répliques
qui font mouche, le texte d’Agota Kristof (auteure Suisse
d'origine hongroise née en 1935 et connue essentiellement
pour "Le grand cahier") nous parle avec beaucoup de
vérité de la vie, de l’argent et de l’amitié.
Elle met ces trois thèmes en perspective et nous laisse
en tirer nos propres conclusions. John et Joe nous font rire
autant qu’ils nous émeuvent car ils sont terriblement
réels et grotesques à la fois, miroirs déformants
de nos défauts et de nos banals rituels.
Les acteurs, dirigés avec talent nous tiennent en haleine
jusqu’au dénouement. Yvan Chevallier
est un John fascinant, à la fois antipathique et burlesque.
Patrick Dray (également compositeur
de l'obsédante petite musique qui rythme cette histoire)
dans un registre plus tendre incarne un Joe épatant de
gentillesse et de crédulité, taraudé par
des questions existentielles, avant que la seconde partie nous
le montre beaucoup moins benêt qu’il n’en
a l’air.
Quant à Julien Leonelli, il
est le garçon de ce bar étrange et présente
deux facettes : son air impassible et condescendant "en
représentation" contrastant avec son air de gamin
farceur dès qu’il se retrouve seul dans son domaine
d’illusion et de jeu. Ses apparitions/disparitions de
sous le comptoir sont de grands moments et donnent à
cette pièce un côté "Lynchien".
Un spectacle magique qui nous emmène dans un univers
singulier et une belle allégorie sur l’amitié. |