Opéra
chorégraphique conçu et réalisé
par Maguy Marin et Denis Mariotte, avec Ulises Alvarez, Yoann
Bourgeois, Jordi Gali, Peggy Grelat Dupont, Sandra Iché,
Matthieu Perpoint, Cathy Polo, Yasmine Youcef, Jeanne Vallauri,
Vania Vaneau et Vincent Weber.
La danse contemporaine a en commun avec la peinture contemporaine
de demander une forte implication de celui qui la regarde. C’est
au spectateur de projeter sur l’œuvre son ressenti,
en fonction de son expérience propre, de ses connaissances,
pour tenter d’en extraire une interprétation.
Un autre point commun à ces deux disciplines artistiques
est d’y croiser fréquemment des œuvres radicales
et provocatrices.
Maguy Marin est une des chorégraphes importantes de
la Nouvelle Danse Française. Elle a la réputation
d’être une chorégraphe très libre
dont les créations ne laissent pas indifférent.
La représentation de sa nouvelle création "Turba"
a montré qu’elle ne dérogeait toujours pas
à cette règle.
Lorsque le public entre dans la salle, il découvre une
scène dont le plateau n’est plus visible, masqué
par des plaques rectangulaires métalliques à hauteur
de cuisse et par un dispositif de fontaine sur le devant de
la scène. Les onze interprètes sont déjà
présents, assis en fond de scène au milieu d’un
capharnaüm d’accessoires, de costumes, de tissus,
de branches d’arbres….
Lucrèce, poète romain du Ier siècle av.
JC, dans le texte "De Rerum Natura" ("De la nature
des choses") qui est à l’origine de cette
œuvre chorégraphique, enseigne aux hommes que le
bonheur réside dans le détachement et que l’univers
est régi par des règles immuables. Dans un premier
temps, l’illustration en est que les interprètes
se faufilent, très lentement, entre les plaques métalliques,
portant des costumes de différentes époques et
déclamant le texte tantôt en latin, en espagnol,
en anglais, en français, en allemand…
Et les interprètes de continuer à déclamer
tout au long de la pièce, les mouvements toujours lents,
les corps de plus en plus masqués par les accessoires,
les tissus, les branches, la fumée… Le plateau
s’assombrit de plus en plus au fur et à mesure
que la représentation se déroule.
Même si parfois les tableaux réalisés avec
la multitude d’accessoires sur la scène pouvaient
dégager une étrange poésie plastique, le
grand absent de ce spectacle de danse était le corps,
de plus en plus dissimulé, grimé, voire de plus
en plus inexistant. Même la voix, dernière preuve
physique de la présence des interprètes, se faisait
de plus en plus difficilement audible sous des bruits et des
sons perçants et agressifs.
La réaction du public était en retour très
physique : toux, raclements de gorge, puis rires, applaudissements
hors de propos, départs, claquement des fauteuils et
des portes de la salle… A mesure que le spectacle s’enfonçait
dans une forme d’angoisse, le public réagissait
de manière de plus en plus vive.
Face à ce qu’il a dû ressentir comme le
paroxysme de l’agression de l’œuvre de Maguy
Marin, un spectateur a fini par monter sur scène pour
effectuer trois pas de danse ridicules. En réponse aux
corps de danseurs qui avaient disparu et n’avaient, quant
à eux, exécuté que des mouvements de marche,
limités par la difficulté à se faufiler
entre les plaques à hauteur de cuisse qui encombraient
le plateau, ce spectateur a exprimé physiquement son
mécontentement sur la scène.
La sécurité est alors intervenue pour faire
sortir le perturbateur (dont le public ne savait pas si l’intervention
faisait partie du spectacle ou non), les lumières se
sont rallumées, Maguy Marin est descendue, furieuse.
Face à une salle déboussolée, surprise,
amusée, soulagée par cette issue inattendue de
l’état d’angoisse dans lequel elle se sentait
plongée, les paroles de la chorégraphe ont été
: "Laissez-nous travailler ! … Que ceux qui ne peuvent
supporter cette œuvre quitte la salle !... ".
Cette demande a été entendue par une forte proportion
du public, les autres applaudissant Maguy Marin et ses interprètes
restés sur scène (eux, aussi perdus que le public
par la tournure que prenaient les évènements).
Après cinq minutes de flottement, la chorégraphie
a pu reprendre pour finalement s’orienter vers des scènes
plus calmes, plus sereines, sur un plateau un peu plus aéré,
mais dans lesquels les corps continuaient surtout à exister
par le jeu des miroirs et la projection vidéo.
A la sortie, une spectatrice a demandé à l’une
des ouvreuses : "Mais c’était tous les soirs
ainsi ?". C’était la 5ème et dernière
représentation au Théâtre de la Ville, a
priori ce fut aussi la plus mouvementée.
En conclusion, l’œuvre de Maguy Marin reste dérangeante,
et donc intéressante, même pour un public qui s’attendait
pourtant à être surpris.
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