Lecture du texte de Herman Melville par Daniel Pennac dans une mise en scène de François Duval.
Les scènes de théâtre sont désormais régulièrement investies pour des lectures de textes littéraires ou poétiques. Au Théâtre Pépinière-Opéra, avec "Bartleby", l'écrivain Daniel Pennac officie pour proposer au public de partager sa passion pour la nouvelle de Herman Melville, auteur du mythique "Moby Dick".
Ce récit tragi-comique d'apparence anecdotique commence comme une chronique courtelinesque cocasse de la vie dans un sinistre bureau de notaire, peuplé de personnages tous aussi ordinaires que singuliers dont l'auteur trace des portraits à la Daumier, pour évoluer vers l'absurde, induit par le comportement pour le moins inhabituel, excentrique dirait-on au 19ème siècle, d'un des scribes qui, notamment, "préfère pas" exécuter les ordres de son employeur, et s'achever de manière dramatique.
L'abondance de niveaux de lecture de ce texte, méconnu de son temps, a suscité au 20ème siècle une abondante littérature analytique quant à la signification de "l’immobile errance du scribe"*, de la démystification de la société capitaliste américaine à l'apologie de la résistance passive face à l'absurdité du monde, de la dialectique intemporelle du rapport maître-valet à l'icône néo-marxiste de la lutte des classes par son geste révolutionnaire de refus de la servitude volontaire en passant par la réflexion sur la portée métaphysique du geste créateur de l'écriture et le phénomène du double psychanalytique.
A chacun d'y trouver son compte à travers cette lecture-théâtre mise en espace par François Duval.
La scénographie consistant à disposer en arc de cercle des piles de vieux dossiers sur lesquels va successivement s'asseoir le lecteur revêt un caractère dispensable alors que les intermèdes constitués de brefs extraits d'œuvres du compositeur Benjamin Britten ponctuent judicieusement la progression de l'intensité dramatique du texte.
Sur fond de grande toile écrue qui évoque une feuille de papier froissé, Daniel Pennac, qui annonce dans sa note d'intention voir dans ce texte "un face-à-face entre deux solitudes… Bartleby, l’homme qui ne veut plus jouer à l’homme, et le narrateur, l’homme qui ne peut vivre sans comprendre les hommes", en donne une lecture inspirée qui, sans être parasitée par les inutiles ou incongrus effets du jeu théâtral, même s'il interprète les parties dialoguées de ce texte narratif qu'il porte manifestement en lui.
Sa prestation est enthousiasmante tout simplement parce qu'il
n'a rien à prouver. Simplement, sans doute aussi l'atavisme
didactique du pédagogue, faire connaître et partager.