Comédie dramatique de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Charles Tordjman, avec Philippe Fretun, Antoine Mathieu, Clotilde Mollet et Christine Murillo.
"Vers toi terre promise", actuellement à l'affiche du Théâtre du Rond Point, un des spectacles les plus enthousiasmants du moment, résulte de la conjonction idéale de trois talents touchés par la grâce.
Talent d'écriture tout d'abord, sous la plume de Jean-Claude Grumberg qui réussit, à partir d'un fait autobiographique, ses souvenirs d'après guerre d'enfant aux dents cariées que sa mère envoyait chez un dentiste juif redoutable qui avait beaucoup souffert, à embrasser les fondamentaux de la condition humaine, universelle et intemporelle, le désespoir, la foi, l'identité, après les avoir développé dans la judéité et dans le cadre de l'après Holocauste.
Talent de mise en scène ensuite avec Charles Tordjman dont l'intelligence a su mettre en musique ce texte sur le vide existentiel des gens ordinaires balayés par l'Histoire dans lequel l'humour noir désamorce toute velléité de pathétisme mélodramatique.
Talent du quatuor de comédiens enfin qui sont les remarquables instruments sensibles de cette tragédie dentaire sans roi ni reine mais avec un trône des douleurs, le fauteuil du dentiste.
Les époux Spodek, un couple à la Hanok Levin en moins caustique, sont confrontés à la perte et au traumatisme ultime : comment vivre après avoir survécu à l'épouvantable, après la Shoah, la spoliation, la perte de leurs deux filles, l'une exterminée à Auschwitz, l'autre embrigadée dans le clergé régulier.
Elle, Christine Murillo sublime, frémissante d'humanité, pleure à chaudes larmes et évacue un chagrin mortifère en rêvant de la terre promise. Lui, Philippe Fretun, magistral, a le cœur serré par une rage impuissante qui l'empêche de faire son deuil du passé et un athéisme qui lui interdit toute espérance. Cet éventuel départ de français athées d'origine juive pour le tout nouvel Etat d'Israël sera-t-il un mythique exode à rebours ou un exil inexorable ?
Il sont entourés de Clotilde Mollet et Antoine Mathieu, au jeu subtil, tout à tour coryphée désopilant, le front ceint d'une couronne de lauriers qui attrape ponctuellement des épines, et figures éphémères illustrant différents épisodes de la vie du couple, introduisent les variations qui font de cet oratorio une vraie et magnifique fable humaniste.