Tout
le monde connaît Chuck Palahniuk.
De façon indirecte certes mais tout le monde connaît
au moins une de ses œuvres dont l’adaptation cinématographique
a fait l’objet d’une unanimité rare… à
tel point que peu savent que Fight Club
est un bouquin de Palahniuk avant d’être le film qui
a tant fasciné.
Même s’il se place sur le créneau d’un
genre ô combien populaire aujourd’hui, la chronique
sociale fictionnelle, avec plus de fiction que de chronique, Palahniuk
est à part dans la littérature US, un irascible vivant
en marge de la hype US, l’évitant même. Son écriture
également est unique : à la fois sèche, dure,
répétitive et pourtant à priori chaotique(1).
Dans Invisible Monsters, pas d’unité
de temps, juste un intervalle fini de temps dont les périodes
sont aisément dénombrables. Pas d’unité
de lieu non plus, mais un nombre fini de lieux qui reviennent. Pareil
pour les personnages : c’est la forêt qui cache les
arbres.L’histoire forme un tout cohérent. Mais elle
est divisée en plusieurs phases, chacune d’entre elles
étant ensuite morcelée. Les différentes unités
sont ensuite distribuées dans les chapitres qui constituent
le livre.
L’œuvre de Palahniuk en tant qu’assemblage semble
ainsi être la réalisation statistique d’une variable
aléatoire multinomiale finie dont les composantes sont le
lieu, le temps et les personnages.Une espèce de cycle en
quelque sorte, une boucle.
Cependant l’histoire est a priori plutôt simple : une
jeune beauté est défigurée par un accident
(peut être, à vous de lire) : "Des
oiseaux [lui] ont dévoré le visage" .
Voilà comment Shanon expliquerait ce qui lui est arrivé.
Si on le lui demandait. Parce que "cet
accident" la transforme en monstre invisible, c'est-à-dire
en personne tellement hideuse que nous détournons la tête
dès qu’on la voit, préférant l’ignorer,
si bien qu’elle devient invisible à nos yeux.
On a vraiment le sentiment que le mal s’abat sur l’innocence.
Ce qui ici est relativement trompeur, puisqu’en fait il n’y
a pas d’innocence dans ce récit.
Mais la réalité est encore plus terrible, innommable.
Tout est chaos ici parce que "nos véritables
découvertes viennent du chaos" .
Un frère défiguré – légèrement
– lui aussi, indéterminé sexuellement, mort
et qui ressurgit shooté aux divers médicaments neuroleptiques
sous une forme surprenante. Et qui tombe amoureux de… sa sœur.
Des parents névrosés, fous à lier, rongés
par le remord. Un remord morbide et contre nature qui les conduit
direct à la psychose.
Un(e) meilleur(e) ami(e) riche rongé(e) par une jalousie
quasi mortelle.
Un fiancé inspecteur de police indépendant (!) pervers
vieillissant qui vire paranoïaque.
Une belle brochette de tarés narcissiques qui fait dire
à l’héroïne : "L’être
que vous aimez et l’être qui vous aime ne sont jamais,
au grand jamais, la même personne".
Mais le / la plus cinglée / cinglé n’est pas
celui / celle que l’on croit. Le suspens est maintenu jusqu’à
la fin.
Bref, dans ce récit, il n’y a pas d’espace pour
la beauté mais un gouffre pour l’horreur, la souffrance
et surtout, surtout, pour l’impensable. |