Comédie
de Molière, mise en scène de Arnaud Denis, avec
Jean-Laurent Cochet, Elisabeth Ventura, Marie-Julie Baup , Jonathan
Bizet, Anne-Marie Mailfer, Bernard Métraux, Nicole Dubois,
Arnaud Denis, Alexandre Guansé, Stéphane Peyran,
Baptiste Belleudy et Jean-Pierre Leroux.
Depuis qu'il a fait ses classes chez Jean-Laurent Cochet et
qu'il vole de ses propres ailes avec sa compagnie, la si bien
nommée Les Compagnons de la Chimère, le jeune
comédien et metteur en scène Arnaud Denis ne désempare
pas.
Il monte un spectacle par saison qui, à chaque fois,
remporte un succès tant auprès du public que de
la critique - ce qui n'est pas rien par les temps qui courent
- tout en se baladant, avec le même bonheur, dans différents
registres, virevoltant avec le classique "Les fourberies
de Scapin" de Molière, décoiffant "La
cantatrice chauve" de Ionesco, décryptant le théâtre
de confession avec "Les revenants" d'Ibsen et osant
une inattendue adaptation de la prose voltairienne avec "L'Ingénu".
Pour l'heure, voici " Les femmes
savantes" de Molière pièce
en alexandrins qui se présente principalement comme une
histoire de famille divisée par la vogue de l'intellectualisme
et une délicieuse comédie de mœurs.
Arnaud Denis démontre qu'il a su en faire une lecture
approfondie et argumentée et extrait de cette comédie
- l'avant dernière pièce signée par l'auteur
Molière, qui à l'instar d'une œuvre synthétique,
regorge des thèmes déjà abordés
auparavant de manière plus ciblée - sa substantifique
moelle en donnant toute leur force aux multiples scènes
de confrontation entre deux personnages sur des thèmes
différents, qui sont autant d'illustrations de l'essence
même du théâtre classique qu'est la contradiction,
et en mettant évidence que lesdits personnages ne sont
pas des archétypes manichéens mais des êtres
pétris dans l'ambivalente pâte humaine.
Montée en costumes, dans le respect de la tradition,
il prouve que le terme "tradition" n'est synonyme
ni d'ennui ni de sclérose ni de reproduction à
l'identique mais d'une variation dans le respect et la fidélité
à l'auteur.
Dans un astucieux décor en plans inclinés de
Edouard Laug qui impriment une perspective en ligne de fuite
avec un miroir en fond de scène dans lequel chaque personnage
peut y mirer son âme, les comédiens distribués
avec sagacité sont dirigés avec rigueur qui évite
toute lourdeur facile sans pour autant gommer les traits comiques,
ridicules voire pathétiques des différentes protagonistes.
L'interprétation est sans faille et on ne sait par qui
il faut commencer entre le maître d'œuvre de ce spectacle
et son interprète le plus prestigieux dont les partitions
proposées confortent l'intelligence de la lecture sus-évoquée.
A tout seigneur tout honneur : Jean-Laurent Cochet dans le
rôle de Philaminte, la maîtresse de céans
qualifiée par son mari de dragon, splendidement carapaçonné
dans sa robe corsetée et emperruqué tel une opulente
Marquise de Sévigné, est tout simplement magistral.
Il n'y a guère aujourd'hui que lui, homme de théâtre
depuis plus de cinquante ans, qui puisse enfiler la robe de
Philaminte sans verser dans le ridicule ou la caricature, et
cela sans travestir sa voix. Et contrairement à ce l'on
pourrait penser faire jouer le rôle de Philaminte par
un comédien n'implique pas que celle-ci soit une femme
masculine. Il suffit au demeurant de voir comment cette femme
qui a pris l'ascendant sur un mari effacé tombe en pâmoison
à l'écoute de piètres roucoulades.
Arnaud Denis, qui réussit, une fois encore, le
pari difficile d'assurer la direction d'acteurs et de jouer
sur scène, s'est distribué dans le rôle
"revisité" du fameux Trissotin. En effet, en
l'espèce, Trissotin n'est pas un gandin pommadé
en dentelles qui navigue en dilettante sur la vague de la préciosité
ni un pédant de piètre facture légitimement
intéressé par la dot de sa future mais un chevalier
à la belle figure luciférienne tout de noir vêtu
à la flamboyante redingote pourpre. Malgré son
patronyme si évident, Arnaud Denis compose un homme du
même acabit que Tartuffe, un séduisant prédateur
qui ne cherche qu'à étancher des soifs bien matérielles.
La pièce donne l'occasion de belles joutes oratoires
entre les deux sœurs, rivales d'esprit comme de cœur,
mais d'une certaine manière tout aussi psychorigide,
entre la fraîche Marie-Julie Baup qui campe la variante
de la féminité sociale assumée et Elisabeth
Ventura - qui a chaque rôle confirme l'étendue
de son registre - dans celle de la nouvelle femme en devenir
ici tristement victime de ses contradictions.
Beau face-à-face également entre les deux frères,
Jean-Pierre Leroux, le savoureux le pater familias nostalgique
et sentimental a toujours la larme à l'oeil à
l'évocation de ses souvenirs de jeune homme ou des amours
romanesques et Bernard Métraux, doté d'un bons
sens pragmatique.
Anne-Marie Mailfer en romanesque Bélise qui a versé
dans la folie douce, Jonathan Bizet dans le rôle du prétendant,
Nicole Dubois en servante qui n'a pas sa langue dans la poche,
Alexandre Guansé en beau et véhément rival de Trissotin, Stéphane
Peyran et Baptiste Belleudy complètent de manière
homogène la distribution de ce spectacle de belle qualité. |