Certaines musiques s’immiscent dans notre quotidien au point de prendre en otage notre pensée : l’on se construit une discothèque intime, que l’inconscient organise en venant y puiser l’énergie nécessaire à notre équilibre vital. Théorie qui peut se vérifier facilement : on se trouve à un lieu précis à un certain moment de la journée, et sans le moindre signe avant-coureur le juke-box intime sélectionne un passage musical qui ne cessera de nous poursuivre jusqu’au sommeil. Plus besoin dès lors de lecteur MP3 lorsqu’on peut à loisir décider d’un téléchargement mental. Je ne mentirais pas si j’affirmais que j’ai passé plusieurs années de ma vie à me passer en boucle, de cette manière, la plupart des chansons des Smiths ("I’ve come to wish you an unhappy birthday ‘cause you’re evil and you lie…"). Rien de tel que les Smiths pour alimenter l’obsession mélodique…
Le premier album de The Big Pink fonctionne selon cette modalité : une poignée de titres – singles imparables – s’entrechoquent dans une zone bien déterminée du cerveau : celle du shoegazing agrémentée de quelques références électro-rock et autres réminiscences du premier album des frères Gallagher. Ainsi donc, les coups d’éclats que sont "Crystal Visions", "Dominos", et "Velvet" nous suivront de bonnes semaines. Mais combien de temps seront-ils abonnés à notre géographie musicale ? A long terme tiendront-ils la route ? On pourrait en douter tant ce disque inégal ne révèle sa force que par à-coups. Mais ses faiblesses n’existent-elles pas pour mettre en évidence, par contraste, les sommets de l’album ? C’est une possibilité, qui ne suffira peut-être pas à justifier les longueurs de "Love in Vain" ou de "Tonight". Certains refrains, scansions des thèmes de l’amour, portent parfois une lenteur qui épuise la tonalité de l’album ; et quelques répétitions révèlent des paresses musicales.
Cela dit, soyons prudents de ne pas condamner précipitamment cette tentative, salutaire, de moderniser ce que My Bloody Valentine avait réussi en son temps, et ce que Maps avait dignement entrepris il y a deux ans. Que la musique puisse se renouveler de cette façon, avec la dose de fierté nécessaire à toute entreprise audacieuse, voilà qui ne peut que séduire. Le label 4AD, ce fameux éclaireur anglais emblématique des années 80, 90, a encore de beaux jours devant lui. |