Création
collective du Théâtre Aftaab menée par Hélène
Cinque, avec Mustafa Habibi, Ghulam Raza Rajabi, Sayeb Ahmad
Hashimi Wahidullah Gulistani, Taher Beak, Fared Joya, Omid Rawendah,
Aref Bahunar, Haroon Amani, Shuhra Sabaghy, Wahidullah Mahboobi,
Amena Taqawee, Asif Mawdudi, Nasir Mansor Khan, Shafiq Kohi,
Sabor Dilawar.
Il y avait une énorme affluence sous le chapiteau qui
recevait à la Cartoucherie, dans le cadre du Festival
Premiers Pas, la troupe afghane du Théâtre Aftaab.
Cette jeune troupe a commencé en 2005 un travail de coopération
avec la troupe du Théâtre du Soleil qui s'était
rendu à cette époque à Kaboul pour donner
un stage de trois semaines dirigé par Ariane Mnouchkine.
Il y avait donc une curiosité du public à découvrir
le fruit de cet échange entre les cultures.
La pièce, interprétée en patchou et surtitrée
en français, a pour ambition de revisiter les 15 dernières
années de la grande Histoire afghane (prise du pouvoir
par les Taliban, montée de la terreur et de l'intégrisme
religieux, le 11 septembre 2001, l'arrivée des troupes
américaines, et la présence actuelle des troupes
militaires étrangères sur le sol afghan) à
travers la petite histoire d'une quinzaine de personnages.
La pièce commence par un double-homicide à Kaboul,
et se terminera par le décès, d'épuisement
et de tristesse, d'un des personnages centraux à la frontière
avec le Pakistan.
Au cours des trois heures de la pièce, on aura suivi
les aventures d'un barbier alors que la loi islamique interdit
que les barbes soient taillées ou coupées, les
réunions de musiciens qui jouent entre eux comme on entre
en résistance, le témoignage d'une lapidation,
les amours rendues impossibles par les pressions du "Ministère
de la Répression du Vice et de la Promotion de la Vertu",
l'impossibilité d'une jeune femme de poursuivre ses études
de médecine, la condamnation d'un médecin qui
assiste une femme lors de son accouchement, les discussions
au Hammam ou les aventures rocambolesques d'une marchande de
quatre-saisons immigrée iranienne.
D'un strict point de vue théâtral, la mise en
scène et le jeu des acteurs semblent se réclamer
d'un naturalisme qui parfois ne paraissent pas très convaincant.
Malgré de bonnes individualités au sein de la
troupe (entre autres les acteurs qui interprètent les
personnages d' Ahmad Abass, le fils du barbier, Ferestah, son
amoureuse, Mme Pari Gull, le gradé des forces US ou l'étudiant
pro-américain), la qualité d'interprétation
se révèle inégale. La mise en scène
d' Hélène Cinque offre des changements de décor
rapide, des transitions tout à fait réussies,
mais certains effets prêtent à rire (des moutons
à roulettes, par exemple) alors que la scène est
dramatique. On a d'ailleurs entendu durant plusieurs scènes
des rires fuser, relevant par là un décalage entre
le jeu et le propos.
On peut sûrement mettre ces points au passif de la jeunesse
de la troupe - si la musique était un crime sous le régime
Taliban, on peut imaginer qu'il en était de même
du théâtre -, et de choix illustratifs pour être
compris du public lors des représentations dans leur
pays.
D'un point de vue émotionnel, bien que les acteurs
aient vécu des aventures semblables à celles des
personnages de la pièce, il est étonnant que peu
de sentiments soient transmis au public. Pourtant, le chapiteau
offre un supplément d'âme en intégrant le
bruit du vent et le bleu de la bâche presque comme des
acteurs à part entière. Ce manque de transmission
d'émotion n'est, d'une part, pas dû au potentiel
émotionnel de l'histoire, et d'autre part, il n'est pas
non plus dû à une différence de culture,
puisque tout pays ayant vécu sous le joug d'une dictature,
interne ou étrangère, est amené à
connaître sous des formes voisines la tyrannie, la répression,
l'arbitraire... Peut-être est-il alors dû au choix
d'une manière de jeu un peu trop appuyé pour un
public qui a la possibilité et l'habitude d'aller au
théâtre.
Politiquement, la pièce offre un grand nombre de questionnements
sur les régimes d'oppression ou sur les raisons actuelles
d'une présence étrangère sur le territoire
afghan. Philosophiquement, elle pose la question de la liberté,
illustrant que la liberté n'est pas uniquement le consumérisme
sur un mode occidental, ou le droit de faire des affaires, elle
interroge aussi sur les manières différentes de
vivre sa foi comme croyant musulman. Psychologiquement, elle
met en scène des liens entre la vie et l'envie, le fantasme
et la transgression (la scène du taliban qui danse et
s'excite alors que c'est un homme qui danse sous une burqa est
savoureux). La dernière scène, entre un berger
et une bergère, dans les montagnes, offre aussi la piste
de l'amour comme résistance à la barbarie.
En conclusion, la réaction dithyrambique du public
qui a fait une standing-ovation à la troupe à
l'issue de la représentation semble décalée.
En effet, la pièce offre un nombre de saynètes
tout à fait réussies : la scène du hammam,
la poursuite des voleurs, le mariage, l'interrogatoire des vieilles
par les troupes US... Mais en même temps, le jeu y est
parfois presque amateur. Si cette pièce offre une bonne
occasion de réviser l'histoire récente de l'Afghanistan
et pose des questionnements intéressants, elle donne
aussi l'impression qu'une partie du public, à la fin
de la représentation, exprimait de la compassion et se
donnait bonne conscience à peu de frais.
Il est cependant tout à fait réjouissant de
savoir que ces acteurs ont la possibilité, grâce
au Théâtre du Soleil, de jouer dans leur pays et
hors de leurs frontières, et de montrer cette pièce
à vocation de témoignage devant des salles pleines.
Cette troupe est avant tout à saluer pour son courage
à envoyer un message éminemment politique d'un
pays qui vit encore dans le chaos, et peut à nouveau
demain basculer sous le joug de l'obscurantisme taliban. |