C'est toujours un plaisir de retrouver au fil des années des formations comme celle-ci, dont la confidentialité et les exigences hypothèquent toujours les chances de survie dans un monde qui ne roule que pour l'easy – easy-listening, easy-money, easy-business ; poison easy.... Pour Port Royal, la recette n'a pas varié : formé en 2000, deux (et maintenant trois) albums, quelques EP, une collection de remixes plus tard, le quartet est toujours debout, contre vents et marées, pour proposer de longues croisières musicales rock-ambient-shoegaze-electronico-synthétiques.
Bien sûr, point de major, point de FM, point de stades de fans dénudées et déchaînées. Mais le choix de l'exigence (artistique) est généralement celui d'une certaine modestie (médiatico-économique). La prostitution productive et les compromissions sont trop souvent conditions de possibilité du succès populaire, interdisant tout véritable accomplissement artistique. On est ici, fort heureusement, dans d'autres eaux, beaucoup moins troubles.
Exigeants et créatifs, les italiens, qui ont trouvé à réfugier leur nouvel opus sur le label De bruit et de silence (auquel on doit la naissance des Louisville et autres À moi et dont on sera bientôt embarrassé de n'avoir que du bien à dire), portent avec ce Dying in time leur art à de nouvelles hauteurs.
La pochette reprend la première des photos de la série L'intelligenza del male d'Andrea Galvani, artiste et universitaire italien. S'y donne à voir le paysage enneigé de pistes de skis, peuplé de quelques formes, vaguement humaines ou vagues sapins rabougris, mourants. Et, surtout, au centre de l'image, cet écran d'une fumée noire à l'opacité inquiétante.
Sans sur-déterminer le choix de cet artwork, on peut dire qu'il résume parfaitement le contenu du disque : sommets aériens, blancheur aveuglante, légèreté béate du loisir de masse, industrialisé – ce qui ne peut aller sans une certaine noirceur sous-jacente, justement, assez grossie, enflée, pour rogner l'essentiel de la scène, cancer au cœur de l'insouciance. Sans changer la recette si savoureuse de ses compositions précédentes, Port Royal y ajoute l'ingrédient-clef : une touche de noirceur perceptible, un grincement dans la douceur des rêveries, une irritation insistante dans le velouté des apesanteurs éthérées.
Bien sûr, à première ouïe, on ne retiendra de Port Royal qu'un côté rock / dance presque futile, dans lequel, heureux d'être si oublieux, on se laissera glisser comme on noie dans un bon bain chaud et moussu les frustrations et l'épuisement d'une journée professionnelles hivernale. Mais il y a un barracuda dans la baignoire, c'est certain. Face au miroir, il faudra bien l'admettre : on perd ses cheveux, comme on perd l'espoir (c'est en tout cas ce que proclame ce fameux "Balding generation", assez puissant pour qu'on en fasse un EP. Drôle de single, du haut de ses 8 minutes). Les années 80 et 90 sont bien mortes. Amusons-nous, soyons fous, dansons, gigotons, remuons nos organismes fatigués. Mais nous ne pourrons jamais retrouver l'innocence, l'espoir. Jamais nous oublier tout à fait. Malgré le groove, malgré la suavité d'une musique facile comme une femme accueillante à l'oubli de soi.
"Anna Ustinova" (du nom d'une athlète kazakhe) flirte ainsi avec les rythmiques machiniques de l'indus pendant que le prince, plutôt que d'être charmant, est photoshoppé ; l'Europe est une muse épuisée, les révolutions sont avortées ; jusqu'aux presque vingt minutes de cet "Hermitage" en trois parties, qui n'est pas exempt de toute tension dramatique alors même qu'il voudrait nous faire retrouver la paix dans une contemplation alanguie – un paysage en demi-teintes, donc, où la nuance est gage de richesse. Port Royal, un peu plus haut encore, dont on a déjà hâte de suivre les prochains voyages.