Évidemment, il y aurait de bonnes raisons de songer à Gainsbourg : un concept-album pour l'histoire à trous d'un amour raté, d'une vie gâchée ; des voitures, une Ford Mustang, une Chevrolet, une autre Mustang, modèle 1967 ; un texte plus dit que chanté ; le prénom d'une femme aimée, Lisa ; une marque de cigarettes américaines ; une "Introduction" melody nelsonienne ; une belle voix grave, susurrant au creux de l'oreille du micro, laissant mourir dans le silence les fins de ses phrases.
Mais ce serait étroitesse d'esprit et de culture de réduire à cette auguste référence le Requiem pour un champion de Bertrand Boulbar ; ce serait, surtout, le condamner à devoir rester dans l'ombre d'un modèle à la cheville duquel il n'a jamais songé à s'élever et passer à côté de ses couleurs propres – ou plutôt : de ses nuances de gris.
Car tout est gris, noir et blanc dans ce disque. Il y a chez Boulbar toute l'Amérique des années 60. Son orgueil, sa fierté à être le rêve triomphant de tout un monde. On y trouve les clichés du film noir pour y suivre la déchéance d'un boxeur italo-américain. On se rappelle de Scorcese et son Raging Bull (1980), on imagine le passé d'un Mickey Rourke quelques années avant le Wrestler de Darren Aronofsy (2008). Les plus cinéphiles remonteront peut-être même jusqu'au cinéma de Mark Robson (avec The harder they fall en 1956 ou The Champion en 1949) ou Robert Wise (The set-up, 1949).
Ces gris contrastés, noir fusain et blanc crayeux, on les retrouvera également dans la bande dessinée du même titre, écrite par Boulbar en guise de variation graphique sur la même histoire et mise en images par Vincent Gravé (déjà dessinateur en 2004 de Petites coupures, lui aussi sis dans l'univers de la boxe ; et de Loin du mythe en 2007, collaboration en images avec Charlélie Couture).
Quarante minutes et quatre vingt planches d'un film noir déjà vu mais pas encore entendu, porté par la belle voix profonde et un peu maniérée de Boulbar, de récitations en ballades un peu surannées, de la fureur du ring aux explosions de sirènes, ambulance, police ; un air de jazz, au creux de la fumée, dans l'obscurité, Requiem pour un champion s'impose avec l'évidence de la narration et un plaisir manifeste à explorer un univers cher à son auteur – un peu comme l'avait fait Antonio Baricco dans son City (2000), autre œuvre amoureuse du "noble art" et de ses trajectoires brisées, la musique en plus. Une réussite, évidemment. |