En m'approchant dans le froid mordant, je me réjouis de revenir à la Flèche d'Or, ce temple où l'on venait vénérer toutes sortes de musique, gratuitement, et qui vient de rouvrir, après de longues et chroniques périodes de fermeture plus ou moins administrative.
J’y suis…
Il y a la queue, il faut dire que la programmation est digne des grands soirs, pour ce concert privé organisé par Oui FM. En attendant mon tour, je jette un œil réprobateur en face, au Mama Shelter, l'hôtel hype, avec son brunch bobo et ses voituriers, qui a poussé là, en face, et que je ne peux m’empêcher d’associer à la fermeture de la Flèche d’Or, au propriétaire commun.
J’aimais bien moi l’immonde parking graffité qui se trouvait là avant, tellement plus underground, tellement plus populaire, tellement plus rock’n roll... Mais trêve de mauvaises pensées, la mythique salle est de retour, toujours nichée dans son ancienne gare, dominant les voies de la petite ceinture parisienne. L’avisé multiproprio semble avoir gardé l’esprit du lieu, musical, audacieux et pas cher, plutôt que de s’aligner sur le hôtel design(ed). Y aurait-il pour une fois une volonté de mixité sociale dans l’air ?
Pas sûr, me dis-je cinq minutes plus tard, en pénétrant dans le temple, qui a bien changé ma foi. En haut, les coursives des DJ, VJ et autres ingés ont disparu comme la sculpture suspendue. En bas, le bar s’est écourté, les miroirs chers à notre photographe se sont évanouis, les verres sont consignés, l’espace du fond est bouché. Tout est noir, sobre, propre, capitonné presque, rapport à la nouvelle insonorisation. Seule reste la scène immuable, et ça tombe bien car nous sommes venus pour ça.
Du coin de l’œil, nous apercevons le couple Humeau qui débarque, nature, parmi nous, mais avant eux, il est prévu une flamande révélation dans la boîte noire où nous sommes.
20h30, ça commence, les deux Belges déboulent, nous lançant leur tube en pleine figure : "Love, love is on my mind". Ils tournent bien, Dries Van Dijck, batteur, écrasant ses caisses avec puissance, et Jan Paternoster chanteur, faisant tourner ses guitares à chaque morceau ou presque. Maigre et inspiré, il se donne des airs et une voix d’Iggy Pop, parfois.
Sur scène, ils ne sont que deux, les Black Box Revelation, sans basse, mais là, ils remplissent bien l’espace, certes restreint, de notre Flèche. Les morceaux phares du premier album, "Gravity blues" et "I think I like you", se laissent aller à des variations interminables et laissent place à quelques extraits d’un deuxième opus, dans les bacs en février 2010, qui s’annonce prometteur. C’est bon, c’est court, et c’est à suivre !
Pendant l’interminable interlude, on recroise les Humeau, sur scène cette fois, pépères, pour la balance. Je lève les yeux, il est encore là le grand rideau rouge, c’est peut-être tout ce qui reste de la déco d’avant, mais il n’est pas tiré, et c’est plutôt sympa de voir s’installer ceux pour qui le public est venu, ça se sent.
Voilà, c’est parti pour un concert privé d’Eiffel, de retour après une longue absence, surtout pour ceux qui, comme moi, n’avaient pas adoré leur troisième album. Mais bon, il parait qu’ils ont tourné la page, claqué la porte d’EMI, pour PIAS, le label indépendant.
D’emblée, ils nous plongent dans leur quatrième opus, démarrant sur "Minouche" et le "Cœur Australie". Ils en joueront sept, une bonne moitié du set, et je réalise qu’Eiffel a un nouveau public : la jeune femme derrière moi, qui connait par cœur les nouvelles paroles, semble tout ignorer de "Il pleut des cordes" ou de "Sombre". Et pourtant, c’était en l’an 2001, sur leur deuxième album, mon préféré.
Sur "Tu vois loin", je me relaisse surprendre par la ligne de basse – Tiens, c’est Estelle qui s’y colle maintenant, ça lui va bien – et par la litanie entêtante de la guitare. Mais au fait, ce nouveau guitariste, il ressemble à quoi ? Pour le coup, on le croirait sorti du Mama Shelter avec ses baskets noires et blanches – les Humeau vont plutôt en docs – sa frange qui cache ses lunettes, et son instrument qu’il porte bas. En vérité, Nicolas Bonnière donne du bon rock et il sort de Dolly.
Avec le retour de l’autre Nicolas, le batteur des débuts, c’est un groupe bien rodé qui nous plonge dans leur album avec la très politique chanson qui lui donne son nom : "À tout moment… la rue… peut aussi dire non". Non comme un oui, au chanteur chevelu ! Pour un peu, on entendrait la voix de l’illustre Bertrand qui se faufile dans les chœurs.
Tout irait pour le mieux, s’il n’y avait pas un problème de retour. Romain ne s’entend pas, finit par se plaindre et se fatiguer.
Aussi ne reviennent-ils qu’à reculons quand on les rappelle, pour nous servir un joli "Search and Destroy" emprunté à Iggy Pop, encore lui. Ils sont désolés mais ils filent pour de bon. On les rappelle, hype, hype, mais non, c’est fini.
Pourtant, un coup d’œil sur la playlist scotchée sur scène me confirme que c’est bien "Hype" qu’ils avaient prévu, et "JVPC" pour un éventuel second rappel... JVPC ? Ha oui ! "Je voudrais pas crever", le poème de Boris Vian. Dommage, je réalise au passage qu’ils n’auront finalement rien joué de leur premier album.
Merci la Flèche d’Or ! T’aurais pu assurer un peu plus côté ingénieur son, pour tes invités de marque ! Eux, c’est certain, ils sont de retour. |