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Damien Verhamme  (Editions Balland / Le Rayon)  octobre 2000

A priori, 5000 Agrafes fait figure d’exception dans la collection dirigée, de 1999 à 2002, par Guillaume Dustan : recueil de nouvelles centré sur un personnage purement hétéro, fétichiste des culs et sous-vêtements féminins… il jure avec le tout-venant gay-friendly qui constituait la ligne initiale du Parti.

C’est que Dustan éditeur eut assez d’esprit pour s’ouvrir à d’autres particularismes : le Rayon Gay, très vite abrégé en Rayon, aura beaucoup plus été une collection vouée à renouveler l’écriture du "je", qu’une niche ou un ghetto 100% homo-centré. Si l’on y trouve bien sûr une majorité de textes explorant des pratiques sexuelles hors du commun, d’autres formes d’écritures eurent aussi droit de cité.

Avant de publier 5000 Agrafes, Guillaume Dustan envisageait ainsi de donner la parole à des écrivains francophones minoritaires – Belges, Suisses et Québécois. L’idée de recueil collectif ayant capoté (à cause du refus de petits éditeurs), il offrit un ouvrage entier à certains rescapés du projet. C’est ainsi que furent repêchés Damien Verhamme et Corinne Bertrand, deux auteurs belges ayant pour point commun de dynamiter la famille en général, et le couple routinier en particulier.

Ces auteurs déviants (de la ligne gay), un article d’époque consacré au Rayon les nommait "hétéros exorbités". Le terme est beau, mais pas forcément pertinent : Corinne Bertrand et Damien Verhamme, loin d’explorer une frange "dure" de la sexualité entre hommes et femmes, ont surtout ausculté la banalité et le quotidien dans ce qu’ils pouvaient avoir de plus terrible – cellule hétéro-normée vue comme un bagne, l’idée du couple comme future prison… Sans pour autant récuser l’attirance indéfectible qu’ils gardaient pour l’autre sexe.

Les mamelles de 5000 Agrafes peuvent donc être schématisées ainsi : famille (je vous hais), femelles (je vous aime).

Le livre comporte cinq parties distinctes. Deux petits ouvrages écrits en amont et auto-publiés en 99 y sont repris, qui en constituent la base : "Rue de Cassel", tout d’abord, raconte le destin mouvementé d’un gosse, ballotté par un père lamentable entre petites embrouilles et grands ratages. Les chapitres esquissent les points marquants de ce naufrage familial, renoncements successifs du pater vis-à-vis de ses femmes – en particulier une marâtre, plus givrée encore que les autres.

"Frédéric Garage", deuxième opuscule préexistant et inclus ici, est l’histoire d’un sursis : guetté par un cancer, le narrateur met les bouts alors que sa greluche est enceinte. Le récit à la première personne, morcelé en pages très brèves, dresse le portrait d’un antihéros baiseur et buveur impénitent, pendant ces quelques semaines de "cavale". Son passé est revu par le prisme de la sexualité, et le livre enfile une belle brochette de filles pas farouches, tombées entre les draps du beau dur à cuir(e).

Autre partie, autre genre : "Un Roman Populaire" (titre ironique pour un texte paru dans une collection à qui l’on reprocha sa "ghettoïsation") est aussi peuplé de types à la dérive et d’une famille à la mords-moi-le-nœud… mais sur un mode franchement plus déconneur : la belgitude chère à l’auteur reprend un peu le dessus, et le texte se nimbe d’un humour absurde bien de chez lui.

La partie suivante (qui donne son titre à l’ouvrage) est un bref journal : petites aventures et observations quotidiennes d’un écorché vif, évoquant sa famille en des termes très durs… Parlant de son livre en cours, le narrateur-auteur pense tout haut, se reproche de n’être pas encore assez direct dans l’écriture (pourtant assez brute de décoffrage !)… Ou se désespère des volte-face de son éditeur Gabriel (derrière lequel on reconnaît un certain Guillaume, bien sûr…).

Enfin, "Sans Titre Pour L’instant" est une collection d’instantanés de vie, ramassis hétéroclite (mais toujours frappant) de pensées, anecdotes, histoires de cul, lettres, considérations sur l’édition, paroles de chansons, listings chronologiques, sentences réfléchies ou déclarations à l’emporte-pièce sur la vie, l’amour, les vaches… Et encore et toujours : le cul des femmes (en guise de bouée de sauvetage), la famille (à rebâtir pour mieux se reconstruire).

A priori, un lecteur distrait (ou ahuri) pourrait croire que les parties constituant ce livre n’ont rien à voir entre elles : les histoires ne sont pas racontées sur le même ton, la forme diverge d’un bloc à l’autre, les personnages portent des noms différents, etc. Tout cela est, en tout cas, assez varié et romancé pour éviter le reproche habituellement adressé à l’autofiction : point de vue réduit au nombril, "moi je" exacerbé ad vitam aeternam…

Pourtant, malgré cette diversité, on peut effectuer une multitude de connexions : tous ces textes apparemment simples et indépendants se recoupent et complètent en fait les uns les autres, aboutissant à une richesse insensée (pour un livre qui se lit si vite) ! L’anti-héros "Frédéric Garage", par exemple, pourrait bien être le môme de "Rue de Cassel" à l’âge adulte, rejouant le sketch du (futur) père indigne, si bien appris auprès du sien… comportement erratique expliqué/excusé par l’enfance dénuée de (re)pères solides. L’auteur ne le dit pas, évitant les analyses psychanalytiques de bazar. Mais le lecteur est libre de le penser.

Ensuite, même si les narrateurs divergent, il est très facile de reconnaître des schémas communs entre les histoires, voir que certaines complètent des scènes déjà lues auparavant : c’est ainsi que l’on trouve dans la partie "5000 Agrafes" de nouvelles références à des drames familiaux voisins de ceux de "Rue de Cassel". Tandis que "Sans Titre Pour L’instant" renferme, en son sein, une lettre déchirante adressé à son fils par une certaine Jane Garage – sans doute la mère du zonard déjà aperçu plus tôt…

Tout cela s’avère d’autant plus passionnant qu’il propose, en outre, des réflexions (paradoxales) sur l’écriture : à la fois arrachement et apaisement… Reconnaissant ses vertus thérapeutiques, puis refusant cette idée qui réduit l’auteur à un grand malade : dans un livre ultérieur, Verhamme enverra chier un journaliste lui posant cette question de "l’écriture comme thérapie ?". Assez sensible pour l’écrire soi-même, donc… mais trop fier pour qu’on le lui rappelle.

Malgré ces quelques atermoiements, le style demeure sans fioritures, écorché mais pas geignard. Si l’enfance bafouée est un sujet potentiellement tire-larmes, Verhamme parvient à émouvoir sans recourir au chantage affectif : le gamin-narrateur de "Rue De Cassel" encaisse les beignes bravement, laissant au style "coup de poing" le soin de les faire sentir. L’écriture est sèche, quelques mots pour aller à l’essentiel, suggérant la douleur sans s’appesantir – belle idée, de dire sobrement ce qui n’est que lourdeur et déferlement.

Les nombreuses histoires de cul sont évoquées, elles aussi, avec assez de sécheresse pour ne pas tomber dans le glauque démonstratif. Le bouquin a beau être très cru, il n’est jamais pornographique ou complaisant : Verhamme suggère l’acte sexuel sans le décrire ; se focalise sur les attributs de ces dames avec lucidité mais sans cruauté ; développe certains fétichismes (cul, menstrues, petites culottes) qui collent bien avec nos obsessions… mais ne s’appesantit pas (alors qu’on aurait bien aimé qu’il approfondisse, pour le coup !).

Surtout, cette virée violente et sexuée a beau être peuplée d’épaves et beaufs sordides, elle n’occulte jamais la grandeur d’âme : le narrateur, éberlué, découvre l’amitié et la confiance "gratuites" auprès d’un vieil homme malade… ou la tendresse de certaines filles paradoxales, qui derrière les pare-chocs et pétards aguicheurs, révèlent un cœur gros comme ça – capables de sentiments nobles, dans leurs petites culottes pas nettes…

Au final, le sentiment d’être tombé sur un grand livre – du moins, l’un des meilleurs publiés dans cette collection. Très éloigné de ses collègues d’écurie (globalement homo-parisiano-bobo), on trouve quand même des parentés expliquant que Dustan ait eu à cœur de le publier : la haine du père et l’explosion de la cellule familiale comme affirmation de soi sont évidemment des thèmes chers à l’auteur de Génie Divin ; et dans la forme, la fragmentation du livre est bien dans la veine de ce que produisait Dustan depuis Nicolas Pages.

Mais au-delà de ces liens, le bouquin de Verhamme vaut surtout par et pour lui-même. On peut le lire sans maîtriser (ou aimer) Dustan et l’autofiction – l’auteur, de toute façon, se revendique plutôt de Bukowski… Il est suffisamment isolé dans le milieu littéraire pour proposer un univers personnel : limité, certes (les mêmes schémas, thématiques et obsessions reviendront dans tous ses autres livres), mais cohérent, sans être réductible à des connexions trop évidentes.

Aujourd’hui encore, Damien Verhamme s’auto-édite, fidèle en cela à l’adage "Do It Yourself" hérité du punk… et sa ligne d’écriture n’a pas dévié, ni tenté de se plier à l’impératif commercial. Si ses livres sont faciles à lire (certains en une demie heure, montre en main !), ils refusent – la nuance est de taille – toute "facilité".

De son passage au Rayon (ex-gay), l’auteur a gardé l’habitude de composer ses œuvres de bric et de broc : 5000 Agrafes était un agglomérat de textes hétéro(clite)s qui, magie de la littérature, finit par former un tout extrêmement serré – et attachant. Ce qui n’était au départ qu’une contrainte éditoriale de Balland (livrer des ouvrages volumineux), est donc devenu une force.

Plusieurs titres de la collection, parus à peu près à la même époque (2000) ont été composé ainsi, et l’on en connaît au moins deux autres (Laura, de Laurent Herrou, Hors d’œuvre, de Corinne Bertrand) pour qui cette obligation fut bénéfique, aboutissant à des livres-compiles où la somme dépasse la valeur des parties… niant au passage cette stupidité éditoriale qui consiste à privilégier une seule facette d’un auteur, alors que celui-ci a un talent protéiforme.

L’intelligence de Dustan, dans ce cas-là, a été de laisser grouper des choses très différentes (jusqu’au bout, l’idée de littérature "transgenres"), affirmer que l’univers d’un auteur était assez fort pour faire tenir ensemble (avec ou sans agrafes) des textes très divers. Plutôt qu’avoir un aperçu des multiples dons d’un écrivain des années après (à l’aune de ses œuvres complètes, souvent post-mortem) : les réunir de suite au sein du même ouvrage ! Un genre de Pléiade anticipée, en quelque sorte…

 

En savoir plus :
Le site officiel de Damien Verhamme

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Nicolas Brulebois         
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