Voilà
un roman qui vaut son pesant de cacahuètes. Et ce, à
plus d'un titre puisqu'il comporte pas moins de 500 pages grand
format d'une intrigue touffue et labyrinthique qui ne s'autolimite
pas en impasses digressives - de quoi occuper une semaine d'aléatoires
et longs transports ferroviaires en temps de grève des
cheminots - et que, dernier volet d'une ambitieuse trilogie,
il ambitionne de clore, dixit l'auteur lui-même, "une
remontée vers le Mal primitif et préhistorique",
vers l'homme simiesque qui venait à peine de descendre
de son arbre.
Il s'agit de "La forêt
des mânes", dernier opus en date du Jean-Christophe
Grangé, journaliste, scénariste et écrivain,
auteur de thrillers qui lui ont valu le surnom de "Stephen
King français", qui fait désormais partie
des auteurs incontournables et des best-sellers de la rentrée
littéraire.
L'héroïne est un juge d'instruction à la
Eva Joly qui se comporterait comme un sniper ne rechignant pas
à l'abus de fonction, sosie de Julianne Moore pour le
physique, et hybride d'une Bridget Jones dépressive,
qui se chausse chez Jimmy Choo pour aller au bureau et carbure
au cocktail lexomil-effexor arrosé de thé et colmaté
de quelques grains de riz, mâtinée d'une Lara Croft
illuminée qui rêve de romance et de l'amour d'un
homme qu'elle transformerait en noyau vital au fond d'elle-même,
entendez un bébé car, "quand elle serait
enceinte elle rejoindrait la secrète logique du cosmos.
Elle accèderait à une intime compréhension
de son être alors même qu'elle s'intègrerait
au mécanisme de l'univers, elle entrerait en intelligence
avec la vie".
En attendant cette ultime extase, elle abandonne une sale affaire
de trafic d'armes au Timor oriental pour se lancer à
la poursuite d'un serial-killer cannibale, avatar primitif d'Hannibal
Lecter d'une telle sauvagerie que les délices antropophages
de ce dernier paraissent un brin chichiteux, qui l'entraînera
au fin fond de la junge sud-américaine pour un dénouement
qui laissera un peu le lecteur sur sa faim (sic).
Entre temps, Jean-Christophe Grangé use de tous les
registres, de la romance au gore, et puise dans des disciplines
prolixes en délires pseudo-scientifiques, à savoir
la génétique, l'anthropologie et la psychanalyse,
pour broder une ébouriffante histoire basée sur
un mythe fondateur vieux comme le monde, joli pléonasme,
à savoir celui de la faute originelle du premier homme
qui a mangé son père, - voir et lire à
ce sujet, et en contrepoint, l'irrésistible et intelligent roman "Pourquoi
j'ai mangé mon père" de Roy Lewis - que l'homme
contemporain porterait en lui dans son cerveau archaïque
comme une bombe à retardement et la théorie psychanalytique
de la mécanique des pères.
Avec un sens certain du découpage cinétique,
Jean-Christophe Grangé a instillé dans ce roman
tous les ingrédients du grand spectacle qui laisse augurer
d'une vraisemblable future adaptation pour le grand écran
et dont le foisonnement, pour l'heure, est judicieux pour maintenir
en éveil la curiosité du lecteur, toujours friand
de plongée en apnée littéraire dans la
perversion cauchemardesque et les représentations parfois
lénifiantes du mal, et même celui-ci finit par
perdre parfois le fil de l'intrigue, il n'a qu'une hâte,
celle d'en connaître le dénouement.
Dès lors le rapport poids-qualité-prix (22,90
€) tient la route. Et puis, sachez lecteur que vous ferez
de plus œuvre caritative puisque l'auteur avouait à
une jolie blonde, grand reporter des soirées VIP pour
un magazine qui aime le poids des mots et le choc des photos,
que ce succès tombait à pic, au moment où
il se trouve ruiné par son divorce. |