Monologue
dramatique de Wallace Shawn, mise en scène de Lars Norén,
avec Simona Maïcanescu.
Arrivée par la salle, une femme timide à la démarche
hésitante investit la scène pour y raconter son
histoire : celle d’une femme aisée qui, à
la suite de la lecture d’un livre déposé
devant sa porte (et quel livre) et d’un voyage dans un
pays pauvre, prend soudainement conscience de l’injustice
sociale.
On ne peut entrer dans "Fièvre" que si l’on
accepte de se faire emporter par une vision neuve, décalée,
mais définitivement indélébile. Ecrit par
Wallace Shawn, auteur et acteur new-yorkais, à la fin
des années 80 mais plus actuelle que jamais, la pièce
décrit une révélation face à la
terrible banalisation de la pauvreté, face à l’insoutenable
qu’on avait fini par admettre par habitude, résignation
ou volonté de garder son petit niveau de confort.
Simona Maïcanescu, qui a traduit et adapté le
manuscrit de l’anglais, porte avec un feu ininterrompu
l’émotion qui la submerge. La comédienne
offre une performance atypique parce que loin du jeu et même
du théâtre : elle est dans la vie, dans ce monde
et porte une parole dont il est rare qu’elle soit dite
avec une telle simplicité, une telle vérité,
une telle évidence. A voix basse, entre confidence et
don, elle retrace lentement ce parcours de femme riche qui découvre
l’obscène vérité et le bouillonnement
dans son âme qui s’ensuit ; l’émotion
affleurant tout au long, marquée par des tortillements
de mains et des accélérations en fins de phrases.
La mise en scène de Lars Norén, dont on comprend
qu’il puisse participer à ce projet tant il ressemble
à ses propres pièces (la violence en moins) est
la plus minimaliste qu’il soit, le maître suédois
n’ayant visiblement pas voulu "théâtraliser"
le moins du monde le spectacle. La scénographie est également
la plus dépouillée possible puisqu’elle
n’est constituée que d’un cyclo, toile tendue
en fond de scène qui change imperceptiblement de couleur
au fil du monologue et des différentes étapes
qui le jalonnent. Et le costume, robe chic garnie d’ornements
et talons hauts, signes ostentatoires de richesse dont elle
se sépare à la fin, symbolisent clairement l’abandon
à ce monde occidental, repus et autiste.
Au-delà du spectacle, il y a là un acte unique
qui agit sur nos consciences d’européens privilégiés
comme un électrochoc. Et pour qui découvre ce
texte fulgurant et essentiel, il y aura fatalement un avant
et un après "Fièvre" : l’étincelle
qu’il allume se propagera bien au-delà de la représentation,
éclairant d’une perspective nouvelle notre vision
du monde et y répercutant l’écho dans nos
vies. |