Réalisé
par Serge Bromberg et Ruxandra Medrea. France. 2009. Documentaire.
C’est un film casse-gueule. Non parce
qu’il est plus difficile à réaliser qu’un
autre de même envergure (encore que !). Mais lorsque l’on
s’attaque à un film maudit, les présages
néfastes ne restent jamais inactifs. Les mauvais génies
veillent. Il y a de la magie noire dans l’univers du film
inachevé, il traîne avec lui la poisse et les fantômes
qui l’on conduit à sa perte.
Un mimétisme qui ne joue pas ici, à la fée
carabosse.
Les Dieux du cinéma (si ils en restent) sont du côté
de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea, les réalisateurs.
Et l’Olympe (Trouvez-le sur la carte cinématographique)
a décrété qu’il fallait ainsi réveiller
un film endormi. Alors rêvons en voyant sur les écrans
ce film qui résume en 1964 les désirs cinématographiques
inachevés, d’un des plus grands réalisateurs
français.
Serge Bromberg en sportif avéré a su éviter
les obstacles pour nous livrer, en résonance l’histoire
peut commune de "L'’Enfer". Romy Schneider à
26 ans, Serge Reggiani 42 ans et en 1964 ils deviennent sous
la houlette d’Henri-Georges Clouzot qui n’a pas
tournée depuis "La vérité" avec
Brigitte Bardot (4 ans), les protagonistes de l’aventure.
Entre les mains du réalisateur de L'assassin habite
au 21", un sujet que l’on aurait pu croire banal.
Un jeune couple (Romy Schneider /Serge Reggiani) prend un commerce
en province, dans un lieu pittoresque. Mais l’homme d’une
jalousie maladive fantasme sur les absences répétées
de sa femme. Il se retrouve un jour, un rasoir à la main
devant son corps ? Sa jalousie l’a-t-il conduit au meurtre.
Il ne se souvient de rien, alors il se remémore leur
vie commune, pour comprendre…
Là ou, naturellement le film aurait peut-être
basic de basic, H.G Clouzot veut faire de ce sujet, une réalisation
visionnaire, un travail unique, des images à vous couper
le souffle.
Jusqu’où ?
"L’Enfer" ne verra jamais le jour, les images
sembleront volatilisées et le budget pharaonique (illimité)
n’aura pas suffi à ce que le film refasse surface.
Que c’est-il donc passé ?
Ne comptez pas sur moi pour vous divulguer quoi que se soit.
Surtout pas. Je laisse au beau film de Serge Bromberg et Ruxandra
Medrea de dénouer l’enquête. DE vous prendre
par la main et de vous faire voyager dans un monde cinématographique
qui va bien au-delà de l’écran. Les auteurs
nous offrent ce que rarement un film peut faire, l’envers
du décor.
Nous sommes face à un film composite. L’enquête
surfe sur les images retrouvées par Serge Bromberg. Des
images jamais vues, oubliées et qui renaissent sous les
témoignages de Costa-Gravas, à l’époque
assistant réalisateur, de Catherine Allégret dont
s’était la première apparition à
l’image ou encore Gilbert Amy, compositeur musical.
On ne peut pas comprendre l’effondrement de la production
sans ces témoignages clés où il faut ajouter
le regard de Joël Stein, de la scripte Thi Lan Nguyen ou
encore Bernard Sora alors stagiaire. Les images impensables
défilent et nous spectateurs, témoins du temps
passé on se met à fantasmer sur le film maudit.
A l’imaginer fini, à essayer de comprendre le drame
que vivait Serge Reggiani. Depuis combien de temps avait-il
projeté de claquer la porte du tournage ? Qui se met
à penser, à vivre au fil du déroulement
du film avec les équipes qui se multiplient, les essais
techniques rendant les images incontrôlables au regard.
Nous sommes là dans la salle et l’on ne peut rien
faire alors que Jean-Louis Ducarme, l’ingénieur
du son, Jacques Douy, l’assistant décorateur, William
Lubtchansky l’assistant chef-opérateur continuent
à se confesser, continuent à ouvrir les secrets
d’un film qui aurait dû révolutionner l’écriture
cinématographique…
Le monde est là, impuissant devant le drame qui se déroule
en vase clos. Le film s’effrite dans la démesure
qui prend doucement le dessus sans pour autant ternir la beauté
du texte. Sa profondeur comme ultime ancrage au film.
Oui, c'est ce qu’il reste, une fois les images impressionnées,
pour tout trésor. Et l’interprétation en
retenue dans un décor minimaliste (heureusement, c’est
aussi une très grande force du film de ne pas avoir fait,
à la manière de.) de Jacques Gamblin reprenant
le rôle de Serge Reggiani et Bérénice Bejo
celui de Romy Schneider où ils s’affrontent dans
l’élégance des dialogues. Toute la puissance
et le talent de Henri-Georges Clouzot éclatent dans ces
trop rares extraits qui viennent compléter le puzzle.
Les deux réalisateurs ont réussi à nous
offrir autre chose qu’un long plaidoyer. Le film est là
dans leurs travaux, quelque part, comme une œuvre qui n’attend
rien d’autre des spectateurs que de se réveiller,
de se révéler. Pour cela, il faut pas hésiter
à venir s’offrir une toile. Et si par les moments
qui courent, il doit n'y en avoir qu’une, n’hésitez
pas, foncer voir "L'Enfer", sûr, vous ne verrez
peut-être plus le cinéma de la même manière
en sortant de la salle. |