Fable
de Evguéni Schwartz, mise en scène de Philippe
Awat, avec Anne Buffet, Eddie Chignara, Mikael Chirinian, Florent
Guyot, Dominique Langlais, Pascal Oudot, Bruno Paviot, Magali
Pouget et Francis Ressort.
Evguéni Schwartz utilisait, comme d'autres auteurs
dissidents des avant gardes russes de la période révolutionnaire
enserrés dans l'étau du constructivisme soviétique,
la stratégie du contournement stylistique par le biais
d'un avatar du conte pour enfants emprunt à la fois de
naïveté et de vérisme pour disait-il non
pas "dissimuler une signification, mais pour dévoiler,
pour dire à pleine voix, de toutes mes forces, ce que
je pense".
Dans "Le roi nu" écrit en 1934, il recombine
notamment trois contes d’Andersen ("Le porcher amoureux",
"La princesse au petit pois et Les habits neufs de l’empereur"),
pour diffuser - tenter en l’occurrence puisque cette pièce
a été interdite en son temps avant même
d'être créée - une critique radicale de
tous les totalitarismes, produits monstrueux de la terreur et
du conformisme, et ce du stalinisme au nazisme, doublée
d‘une satire sociale.
Phlippe Awat a opté pour un univers qui s’inspire
du contexte artistique contemporain à l’opus, en
empruntant simultanément au cartoon, alors en son âge
d'or, et au grotesque, le premier comme version animée
de l'art russe traditionnel de la caricature russe et le second
déclinaison de l’expressionnisme qui sévissait
outre-Rhin.
Dans une scénographie très épurée
de Valérie Yung, privilégiant la ligne droite
selon l’esthétique art déco, qui se pare
de décors graphiques habilement conçus par Fanny
Paliard s'animant sous les lumières travaillées
de Nicolas Faucheux, l'ensemble évoquant les codes dadaistes,
se déroulent les aventures d'une princesse éprise
d'un porcher (Francis Ressort) qui, grâce à la
pugnacité et l'ingéniosité de ce dernier
et de son acolyte (Dominique Langlais), va pouvoir éviter
le mariage avec un tyran psychotique craignant les mésalliances,
et de la mésalliance à la théorie pseudo
scientifique de la race pure …
La mise en scène au cordeau est soutenue par un rythme
rapide voire trépident qui, fort judicieusement, ne s’apesantit
pas sur la teneur politique, Philippe Awat ayant suffisamment
confiance dans l’acuité du regard du spectateur
pour ne pas faire dans la redondance.
Tous les personnages font l’objet d’un traitement
très individualisé, des costumes (avec la patte
inspirée de Dominique Rocher) au jeu, de manière
à leur donner une certaine épaisseur sans pour
autant les dépouiller de leur potentiel comique, ridicule
ou burlesque.
Dans la famille des puissants, il y a donc le roi petit, le
drôlissime François Frapier qui joue également
le rôle du poète de la Cour genre Caramels fous,
sa fille la princesse, petite elle aussi, croisement d’une
culbuto et d’une toupie à qui Pascale Oudot donne
une verve pétulante, et le tyran monté en graine
genre échassier - car Philippe Awat joue également
sur la morphologie des personnages pour composer sa distribution
ce qui ajoute une dimension très visuelle à la
charge moqueuse - dont Eddie Chignara, qui a parfois des accents
à la Elie Kakou, réussit une composition particulièrement
bouffonne de bêtise terrifiante.
Autour d'eux, sévit un aéropage également
haut en couleurs et irrésistible : cuisinier poussif
et chambellan capitaine des dragons hennissant (Bruno
Paviot), une Heidi reconvertie en gouvernante kapo (Magali
Pouget), ministre des tendres sentiments genre Barbie
adoptée par la famille Adams (Anne
Buffet) et premier ministre taraudé par sa compromission
(Mikaël Chirinian).
Les comédiens, tous au taquet, dispensent une jubilatoire
farce chorale dont l'arme est le rire sous toutes ses formes
et le matériau le mot souvent trituré, même
si le premier prend ici un peu le pas sur le second en raison
de l'abondance créative du spectacle. |