Bill Callahan, ancien chanteur de Smog, a choisi de se produire sur la scène du Grand Mix dans une formation réduite : seule une batterie l’accompagnera pendant toute la durée du concert. Il assurera donc à la fois les parties basses, la guitare et le chant.
Son dernier album solo, Sometimes I Wish we were an Eagle, album de la maturité, comprend pourtant piano et violons, définissant le caractère mélancolique de ses chansons.
Mais l’absence de violon n’a aucunement modifié leur intégrité : les chansons ont gagné en clarté, même si la lumière qui les traverse provient toujours de l’intérieur.
On connaît bien cette musique, cette tradition de folk-songs américaines qui ont contribué à nous former comme elles ont guidé le chanteur de Smog ; cette grande lignée allant de Leonard Cohen à Lou Reed, en passant par David Bowie. Sainte-Trinité ayant influencé la presque-totalité des groupes américains actuels – qu’ils le veuillent ou non.
En écoutant ces chansons, on pense effectivement au Coney Island Baby de Lou Reed (par leur retenue), ou au premier album de Leonard Cohen (par leur dépouillement). Son écriture atteint ici des sommets, comme si tout ce qu’il avait composé avant n’était qu’un brouillon, un exercice de style. L’essentiel ne s’exprime que maintenant. Par exemple, la chanson "Too Many Birds", dont le refrain construit sur une boucle qui à chaque cycle augmente d’une mesure, est proprement exceptionnelle.
Bill Callahan arrive à mêler deux qualités, essentielles, qui ont toujours été séparées dans sa précédente formation : le caractère incisif de ses chansons, et leur clarté. Il tient donc de l’aigle, c’est-à-dire que son tranchant l’oblige à rester à une certaine altitude, pour ne pas agresser ses semblables. Son objectif serait alors d’ouvrir, à sa manière, un chemin qui mènerait aux belles dérives, fussent-elles périlleuses. Zarathoustra n’est pas loin : "il faut avoir encore du chaos en soi pour enfanter une étoile dansante", semblons-nous entendre.
On sait à quel point Callahan méprise le confort, privilégiant toujours la volonté de mouvement, celle de tracer sa route : les voyages définissent ses albums, mais la destination est moins importante que le trajet. Depuis Smog, ces chansons ont gagné en force, en densité. Plus lumineuses, moins superflues, elles ne se referment plus sur elles-mêmes.
L’autisme n’est plus perceptible : on pourrait presque dire que cet homme est heureux, portant sur son visage calme et silence.
Mais sa voix est restée celle d’un chanteur sans attaches qui explore en détail les profondeurs, insondables, des sentiments humains, rendant compte de nos vies d’adulte mal assumées, inconfortables − comme il parlait avant de la gravité de l’adolescence, de la discordance, de la difficulté de maintenir en soi la part d’enfance dans un monde toujours hostile. La sagesse semble être la prochaine destination de cette musique. |