Kings of Convenience, "les Rois de la Commodité". Avec quoi ce groupe Norvégien s’accommode-t-il ? Difficile à dire tant sa démarche musicale désigne autre chose. Il ne s’agit pas pour lui de rester entre les bornes étroites de la pop-folk. C’est déjà estimable qu’ils reviennent, consciemment ou non, sur quelques éléments de Nick Drake − parce que nous ne sommes pas contre les reprises ou réécritures du style d’un grand songwriter − mais ils n’en restent pas à ce stade : la bossa-nova définit en réalité leur particularité. Quand bien même celle-ci reste légère, elle suffit à éclater la structure des chansons, pour les porter vers un autre espace, comme si le Brésil de Joao Gilberto et l’Angleterre de Nick Drake s’étaient réunis pour créer un séduisant alliage. Equation singulière produisant des effets auxquels on ne résiste pas.
Dans la chanson "Boat Behind" de ce troisième album, Declaration of Dependance, on perçoit une influence manouche ; pourtant la ligne pop se maintient de bout en bout. Peut-être est-ce là la force de cet album, qu’une instabilité se crée, par l’intrusion d’éléments procédant de la culture latine, alors que l’élégance pop continue de définir le cadre, qui ne sera pas brisé.
La froideur et la sécheresse des mélodies proviennent évidemment de l’origine géographique des deux musiciens Erlend Øye et Eirik Glambek Bøe. Ce contraste entre froideur (scandinave) et chaleur (latine) est troublant. On peut croire que, sur la durée, c’est la chaleur qui l’emporte. C’est ce que semble dire le titre : si la solitude découle de l’indépendance et de la liberté, il est difficile de se déprendre de soi, de s’en remettre à quelqu’un d’autre ; c’est peut-être même une épreuve importante que d’accepter la nature sociale de l’homme. Cet album est né de dépendances, de confrontations, il n’y a pas de doutes à ce propos. Et si l’instrumentation est assez simple, dépouillée, c’est l’équilibre entre les deux voix qui contribue à une légèreté, précieuse parce que rare.
Certains groupes visent cette légèreté mais ne parviennent à l’atteindre que par moments, tombant le reste du temps dans une certaine indigence – piège assez fréquent lorsqu’il y a volonté de se débarrasser de lourdeurs. Mais Kings Of Convenience est à l’origine prédisposé à l’apesanteur. Il ne lui restait qu’à la traduire, par un procédé de sculpture : retirer, enlever jusqu’à ce qu’il ne reste que l’essence des chansons. Je pense à un autre groupe qui ressemble beaucoup à celui-ci : Gravenhurst, dont le dernier disque The Western Lands possède la même élégance aérienne (sans l’influence bossa-nova).
The Western Lands et Declaration Of Dependence, deux disques jumeaux, beaux comme la nuit, indispensables pièces permettant de réapprendre le vocabulaire pop dans des perspectives résolument neuves. |