Comme à la radio. À cette minute, Peter Garrett, ex-chanteur de Midnight Oil et actuel ministre de l'environnement australien, revendra son "Beds are burning" aux écolos du monde entier tout en construisant des centrales nucléaires. À cette minute, Bono et d'autres alter-showbizz-activistes se pavaneront pour Haïti. À cette minute, les rayons World Music et New Age des grands magasins des grandes avenues des grandes villes déborderont de super-production. À cette minute Matthew Bellamy et ses acolytes de Muse se prendront pour Queen et Freddy Mercury. À cette minute, on décrètera que Viva la Vida est un album historique.
À cette minute, Shearwater ne s'impatientera pas, attendant son heure, construisant en secret une œuvre discographique ambitieuse et sincère, loin de la radio.
Parce qu'il faut l'être, sincère, pour proposer une trilogie d'albums traitant de l'impact de l'homme sur son milieu naturel. Les deux premiers volumes du cycle creusaient la thématique ornithologique – le nom du groupe lui-même, qui sonne si bien, si mystérieusement à nos oreilles francophones, désigne en réalité le puffin, qui est un petit oiseau marin et l'album précédent, Rook (Matador, 2008), a pour nom celui du corbeau freux ; c'est que Jonathan Meiburg, auteur et tête pensante de la formation, est également ornithologue.
Le troisième et dernier mouvement de cette trilogie écolo, ce Golden Archipelago qui nous occupe, se penchera pour sa part sur l'insularité – oui oui : les îles, leur fragilité, leur isolement, l'infini océan qui les entoure et la brise qui les fouette, leur silence et leurs vacarmes. C'est sûr, moins glamour que de participer au dernier gala des Enfoirés, main dans la main avec Mimi Mati, à la radio. Et tant pis pour le single catchy.
Bienheureusement, sur une telle thématiques, Shearwater n'a pas le mauvais goût de s'offrir un disque de World Music pour talk-show humanitaire. Le disque s'enorgueillirait plutôt d'un rock pas loin d'être progressif, planant, tout en grands espaces, souvent assez proche du Pink Floyd le plus ample, qu'hanterait le belle voix impossible de Meiburg, avec ses aigus, sa puissance et sa retenue, son immatérialité, son lyrisme un peu empoussiéré.
Sans peut-être atteindre les sommets de délicatesse de son prédécesseur, l'album en explore donc les pistes musicales, en y ajoutant peut-être une touche d'électricité, une énergie plus rock parfois. Et si Meiburg est allé puiser son inspiration dans l'histoire familiale (son grand-père fut soldat dans le pacifique sud), chacun pourra aisément intégrer à cette errance musicale ses propres images, tant est grande la force évocatrice de ce Golden Archipelago. D'île en île, d'un imaginaire à un autre – une musique pour rêver d'ailleurs ? Avec grandeur et modestie, en technicolor. |