Je ne savais pas à quoi m’attendre en rentrant dans ce grand cube ficelé d’acier : le Fil de la ville aux sept collines. Une nuit qui promet de la fraicheur à tout va + de la neige même pas encore fondue + une porte blindée + deux patibulaires pros du dévisagement à la lampe torche = accroche toi à ton sac et remonte ton col mémé.
Et puis j’ai vu de la lumière, alors je suis rentrée. Et là, contraste complet avec l’extérieur : chaleur, sourires accueillants de parfaits inconnus venus regarder de la musique.
Pour ma part, l’expérience inédite s’est révélée comparable à une pièce en trois actes, liés les uns aux autres pour se contredire ou se compléter.
ACTE I : Laëtitia Sadier, d’abord toute seule comme une petite fille avec sa guitare à l’envers, sa mèche rebelle et ses loupiotes pour éclairer les ombres suspectes. Je n’étais pas née dans les années 90 (disons que mes oreilles n’avaient pas encore éclos), quand elle jouait avec ses copains de Stereolab, voyons voir ce que donne ce projet solo.
Quelques notes pour chauffer les doigts, quelques murmures pour chauffer la voix, une petite gorgée et c’est parti pour un voyage au pays qui susurre des mots interdits aux oreilles des passants. En toute intimité, pour le public côté cour, elle chante comme une fée clochette, enchainant les chansons comme on lance des sorts avec une voix grave et posée, qui fait l’effet d’un courant d’air chaud au dessus d’un bon café bien corsé, ça soulage. A la promiscuité relative du public côté jardin, elle offre un mélange de saveurs auditives hypnotisant semblable à un ciel sans nuage, ça apaise. Et cette dernière chanson qui ne veut pas finir nous confie-t-elle. Déjà ? J’ai cligné des yeux, je me suis réveillée l’esprit engourdi, à peine le temps de retourner dans mon corps pour la voir se lever et partir. Tout m’a semblé bien trop court, bien trop bref, m’a laissé un goût d’inachevé, comme ce fichu rêve que je ne finis jamais, interrompu par le même claquement de porte, fichu voisin. Finalement, elle n’a besoin de personne, toute seule comme une grande fille avec sa guitare, son tabouret et son micro. Rideau, au revoir, merci.
ACTE II : Zak Laughed et compagnie : un petit lutin en colère, avec la bosse de l’anglais, coiffé comme Oliver Twist qui nous trouve trop loin, pas assez bavards, trop calmes, pas assez bruyants.
Malgré une indéniable maîtrise des instruments du haut de ses 16 ans (lui non plus n’était pas né en 1990), après moult changements de guitares, je ne l’ai pas suivi dans son invitation à la trépigne. La faute à mon petit orteil (un peu loin de mon cerveau) encore agrippé à mon nuage précédent.
Pour les amateurs, il est venu avec trois potos pour l’encadrer (le cousin machin a mis les doigts dans la prise là-bas au fond ?), le regarder (un ticket gagnant à la loterie qui s’est offert une place à la gauche du guest ?), lui faire deux trois sons en plus (en plus du droit de se faire charrier après une tentative de séduction du public ?). Pour les connaisseurs, son style folk rock bien formaté d’enfant précoce défraye la chronique depuis quelques temps. Rideau, tchao gamin.
ACTE III : Jerri, c’est lequel déjà ? Le chat ou la souris ? Et bien, c’est les deux, non, les quatre Anthony, Laurent, Flavien et Mickaël. C’est un groupe de chez groupe, qui joue à la chaise musicale entre deux morceaux, 1, 2, 3 je vais à la batterie, prend la place de machin au clavier pas branché (oups, help, merci les gars), truc va à la guitare, je lui filerai la mienne pour le prochain morceau, quand je serai au grand clavier.
3 musiciens muets qui ont probablement prêté leur voix au chanteur pour qu’il dégage une telle puissance enragée, j’espère qu’il ne fait pas trop peur à la boulangère avec une voix pareille. Les écouter, c’est aussi surfer sur une planche magnétique en forme de nénuphar à paillettes au gré des flux électrostatiques du cosmos ; un peu envoûtant, follement grisant. Parce que leur style est "un mélange très fourni de pop folk électronique typé post punk" (ndlr : citation de l'émission Le Fil Eclectic #5).
Pour les Nuls, c’est un mélange de n’importe quoi électronique, ce qui à mon avis n’a rien de musical ni d’harmonieux à l’origine, mais Jerri tous ensemble arrive à en faire quelque chose de véritablement cohérent et transportant. Et pour le final, Laëtitia Sadier et SoulJah'zz se pointent tranquillement, pour jouer un morceau d’écorché, histoire de jouer les prolongations encore et encore. Au fait, c’est la première fois que j’entends fuck dans une chanson d’amour sans être choquée. Applause. Rideau, au revoir, à bientôt.
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