Comédie dramatique de Anton Tchekhov, mise en scène de Serge Lipszyc et Franck Berthier, avec Bruno Cadillon, Gérard Chabanier, Juliane Corre, Judith D’Aléazzo, Valérie Durin, Pierre Ficheux, Catherine Ferri, Stéphane Gallet, René Jauneau, Julien Léonelli, Serge Lipszyc, Sylvain Méallet, Patrick Palmero et Marc Ségala.
"Un Platonov", adapté par Valérie Durin et Serge Lipszyc d'une l'œuvre de jeunesse de Tchekhov, est présenté par la Compagnie du Matamore au Théâtre de l'Opprimé dans le cadre d'un Diptyque Tchekhov.
Deux Tchekhov sinon rien, ensemble ou l'un après l'autre, mais sans doute pas l'un sans l'autre en raison de leur effet miroir, deux textes écrits à plus de vingt ans d'intervalle qui investissent un certain état au monde, celui du désenchantement, et le théâtre du vivant que pratique l'auteur.
Platonov est un requiem pour l'humanité déchue pour qui la vie et le devenir sont absents que Tchekhov pressent dans la société russe de la fin du 19ème siècle qui annonce, de manière étonnement divinatoire, un siècle livré à l'impuissance existentielle.
Car Tchekhov n'est pas qu'un voyant, observateur, à la fois cruel et humaniste, de la société dans laquelle il vivait et de ses contemporains jetés dans la tourmente cosmique, mais également un clairvoyant qui, en l'espèce, anticipe l'approche psychanalytique du désenchantement : pas de mère, pas de père et une rencontre amoureuse avortée. Serge Lipszyc précise d'ailleurs fort justement, dans ses notes d'intention, que Platonov n'est pas qu'un être sans père et sans repère mais également sans mère dont il cherche inconsciemment un substitut dans des représentations féminines.
Dans un décor épuré, conçu par Sandrine Lamblin, une basse estrade de planches de bois brut, pré carré et tréteaux de la scène de théâtre, car c'est avant tout du théâtre sur laquelle les marionnettes que sont les hommes vont s'agiter sur place comme une toupie, sans avancer d'un pouce mais en délivrant leur petite musique, trois petits tours et puis s'en vont, Serge Lipszyc s'est attaqué, de manière particulièrement réussie, à la mise en scène de cette pièce réputée injouable dans laquelle il ne se passe rien d'autre que de vains jeux de miroirs.
Le rideau se lève avec l'arrivée du printemps qui marque le renouveau d'un cycle organique et la répétition de l'intangible comédie humaine dans le salon de la veuve du général fréquenté par les représentants des différents corps sociaux : la banque (Patrick Palmero), le marchand (Stéphane Gallet), le serf (Marc Segala), le médecin (Bruno Cadillon), le militaire (René Jauneau), le juif (Gérard Chabanier), l'étudiant (Julien Léonelli) et le fils de famille (Sylvain Méallet).
Mais arrive Platonov anti Dom Juan, dandy post-romantique, victime d'une spirale de l'échec - dont Serge Lipszyc donne une belle incarnation charnelle, à la fois pathétique et fascinante - dont les promesses de jeunesse se sont noyées dans un statut social modeste et un mariage sans amour avec une femme ordinaire qui va assombrir le paysage notamment par ses incartades féminines tiraillé entre quatre femmes (Valérie Durin, Julianne Corre, Judith D'Aleazzo et Catherine Ferri).
Serge Lipszyc arrive à clarifier le propos de l'auteur, à cerner un personnage qui n'a pas vraiment de contour et qui se définit par rapport aux autres et, à la mise en scène, dirige un spectacle réussi essentiellement choral qui repose cependant sur des partitions nettement différenciées que chacun des comédiens sait porter avec cohérence et conviction.