Veste cintrée, jupe courte, Jeanne Mordoj fait son entrée
sur scène. Sous un voile brodée qu'elle transperce
d'une longue aiguille pour le soulever délicatement,
une barbe. Elle fait le tour de la scène, découvrant
son public. Elle interpelle les femmes "Comment vous faites,
vous, sans barbe ?" comment faites-vous ou comment vous
faites ? Ventriloque, contorsionniste - à l'esprit tordu
- et équilibriste déséquilibrée,
Jeanne Mordoj cultive le paradoxe, la surprise.
Le dispositif scénique est celui d'une foire : gradin
et scène en bois centrale. Toile tendue, musique, Jeanne
Mordoj évolue sur et hors scène. Elle dialogue
avec des crânes d'animaux, un peu pédants, amateurs
de Schubert, danse, fait chanter les nuisibles, disserter les
squelettes, résonner les coquilles d'escargots et planer
les bambous. Le spectacle glisse du théâtre au
cirque au cabinet de queeriosités. On la suit, on se
perd. Elle tire sur tout ce qui bouge ou ne bouge plus.
Jeanne Mordoj évoque l'érotisme oblique des atypiques,
des poils et des périssables. Les os, eux, sont permanents
et les squelettes bien plus ouverts que les vivants. Ils respirent
par tous les trous. Dès lors l'enfouissement est la seule
solution pour faire enfin taire un système nerveux central
trop bavard. Remonteront bien des questionnements et remises
en questions. Entre deux éclats de rire, quelques frayeurs,
un plaisir visuel, auditif et olfactif - parce que la terre
sent la mort, donc la vie - les nuisibles se moquent de nous.
Blaireau, le crâne babillard, détourne, inverse.
"Une poule sur un mur, qui picore des ordures". La
mort, c'est poilant et les enfants se tordent de rire.
Quand la femme à barbe joue avec un jaune d'œuf,
le faisant rouler sur tout son corps pour offrir à l'être
qui ne naîtra jamais un aperçu du monde auquel
il échappe, les enfants crient et rient, dégoût.
Les parents rient jaune.
Mise en scène des genres troublants et troublés,
des révoltes et des réflexions, "Eloge
du poil", gratte, démange. Les poils, ça
pique. C'est rebelle, hirsute. Et si vous n'y faites pas attention,
ça envahit tout. Au-delà du tabou, ça peut
être doux. |