Pour apprécier Jean-Louis Murat, sur disques comme sur scène, il faut aimer les mots : c’est par le verbe que l’on peut juger, dans un premier temps, un concert de l’auvergnat. Musicalement on peut décrire la prestation de Murat comme la rencontre idéale entre la chaleur du jazz et la poésie surréaliste. Une écoute attentive des paroles nous procure un effet comparable à la lecture de certains textes surréalistes, conçus selon le procédé automatique qui consiste à écrire le plus vite possible afin d’avoir accès aux zones de l’inconscient. La créativité de Murat étant connue pour être faste on peut imaginer qu’il procède de cette manière, selon un rythme sans doute quotidien ; qu’il garde toujours en réserve une quantité de textes qui tôt ou tard finiront par figurer sur un album. Le résultat ? Un album minimum par an depuis la fin des années 90. Si l’on regarde l’ensemble de sa discographie, force est de constater que la quantité implique également une qualité d’écriture, relativement constante.
Quant à l’instrumentation, entre les nappes synthétiques des premiers albums et la facture acoustique de la dernière période on trouve évidemment un large contraste.
En ce qui me concerne – et cette constatation ne cesse de me surprendre – je trouve plus beaux et plus forts les premiers albums "synthétiques", peut-être à cause de leur caractère novateur − même s’ils sont indiscutablement en phase avec leur époque : fin des années 80, tout à fait normal d’utiliser des synthés. Mais ce que Murat a apporté avec des albums comme Cheyenne Autumn ou Le Manteau de Pluie est important.
Sur scène, la méthode, ou plutôt la formule, continue de surprendre. Vertiges des mots, mouvement fluide de la mélodie : on se laisse porter par cette ivresse même si le ton ne change pas.
Cette constante est à préciser : sur une heure et demie de concert, Murat reprend de manière cyclique les mêmes thèmes, mêmes effets, mêmes ruptures électriques. Du coup chaque nouvelle introduction est la répétition de ce qui vient de se jouer, définissant certes le prolongement de l’élan initial, mais aussi la confirmation de la tonalité centrale. Pendant la première demi-heure on a tendance à ne pas y prêter attention. Au bout d’une heure, cette impression de "déjà-vu" s’avère remarquable.
Disons que Murat s’est contenté de faire du Murat, en faisant attention de ne pas donner plus que ce qui était nécessaire. Rester entre les bornes du raisonnable, paradoxalement pourrait-on dire puisque les textes disent le contraire. C’est-à-dire que, si l’on excepte les fans radicaux qui auront toujours sur les concerts un jugement faussé par leur passion, le public est sorti de la salle du Grand-Mix plutôt satisfait, alors qu’il aurait pu être autrement marqué par l’imprévisible, l’audace – même si la prestation fut brillamment conclue par les vers du Grand Poète (L’Examen de Minuit de Baudelaire).
La chanteuse lilloise, Lena Deluxe a ouvert la soirée en solitaire : beaucoup de sensibilité et de gentillesse, ce qui humainement est déjà beaucoup. Même si certaines influences sont perceptibles (Shannon Wright pour l’immédiateté, PJ Harvey pour la sécheresse, Belle and Sebastian pour l’élégance), cette jeune chanteuse n’aura pas de mal à s’en libérer, aucun doute à ce propos. Le ton personnel finira par l’emporter. Seule, sur scène, sa présence est déjà forte, on s’en rend compte par la qualité de silence qui suit chacune de ses chansons. La curiosité nous amènera donc à guetter ses prochaines apparitions au sein d’une formation complète. |