Le nouveau roman de TC Boyle, Les Femmes retrace la vie de Frank Lloyd Wright au travers des relations qu'il a entretenues avec ses trois épouses successives et une de ses maîtresses.
Frank Lloyd Wright est un architecte qui a réellement existé. Pour la petite histoire, TC Boyle habite lui-même dans un des bâtiments dessinés par Wright. Visionnaire dans son art, il a conçu la Fallingwater, ou maison de la cascade, située au-dessus d'une chute d'eau pour le milliardaire Edgar Kaufmann, ou encore le Guggenheim à New-York.
TC Boyle continue, dans ce livre, sa description des mœurs de l'Amérique dans la première moitié du XXe siècle vue à travers le prisme de quelques grands égomaniaques. Il y avait eu Aux bons soins du Docteur Kellog (1994) qui racontait l'histoire du fondateur de la célèbre marque de corn-flakes, Riven Rock (1998) ou le destin du couple formé par la féministe Katherine Dexter et des son mari Stanley McCormick, héritier des inventeurs de la moissonneuse-batteuse, et Le cercle des initiés (2005) qui contait le parcours du professeur Kinsey, inventeur de la sexologie moderne.
Tous ces romans ont en commun d'être richement documentés et de faire avancer l'intrigue, par un travail d'imagination littéraire, en portant une attention toute particulière aux motivations de ces esprits mégalomanes. L'autre point commun à tous ces romans est de multiplier les personnages, en particulier féminins, et d'illustrer cette citation de Gilbert Keith Chesterton, "Seules les femmes sont réalistes ; elles n'ont qu'un but dans la vie : opposer leur réalisme à l'idéalisme extravagant, excessif, parfois éthylique des hommes".
Le lecteur qui a déjà parcouru des ouvrages de TC Boyle sera donc en terrain connu. Les autres ne seront pas rebutés par le langage et la syntaxe, l'écriture y est précise et agréable à suivre. Un des grands talents de ce romancier est de dépeindre des personnages tellement hauts en couleur que le lecteur se souvient facilement de chacun d'entre eux et les replace immédiatement dans l'intrigue aussi enchevêtrée soit-elle.
Dans Les Femmes, TC Boyle imagine un narrateur, apprenti et disciple de Wright, venu du Japon. Ce personnage, aux antipodes des aspects démonstratifs et superficiels de la personnalité son mentor, porte un regard distancié, voire ironique lorsqu'il intègre à son récit des notes de bas de page. Choisir de commencer son récit en traitant du rapport de son héros à sa dernière femme, permet à Boyle de mettre en perspective l'écriture du roman et de tracer un parallèle avec l'architecture de Wright. La construction n'en est pas classique, mais consiste en un succession d'épisodes démontrant la passion du personnage principal pour le travail, pour son art, pour les voitures, et bien entendu pour les femmes, contrepoint littéraire aux puits de lumière à l'intérieur de constructions de l'architecte Frank Lloyd Wright.
Ce livre est drôle, portrait parfois méchant d'un homme complètement obsédé par l'idée de contrôler tout ce qui se passe autour de lui et tous ceux qui gravitent autour de lui, mais fuit ses responsabilités lorsqu'il est dépassé, agit parfois de manière contradictoire, et qui, malgré son talent et sa réussite, s'ingéniera tout au long de sa vie à saper aussi bien ses projets professionnels que ses histoires d'amour. C'est aussi l'histoire d'un homme tiraillé entre certaines de ses valeurs, parfois réactionnaires, parfois hors normes, et pourtant en avance sur son temps, mais qui surtout se révèle habité par une profonde volonté de liberté et d'innovation.
Avec ce livre, TC Boyle, après une période d'écriture moins excitante, qui concerne principalement ses romans et recueils de nouvelles publiés du milieu des années 90 au milieu des années 2000, a retrouvé le rythme de narration qui s'adapte à l'ironie et à la drôlerie de ses romans. Il s'impose à nouveau, depuis Le cercle des initiés, comme un des auteurs américains les plus intéressants à suivre. |