La reformation de Programme était désirée, fantasmée par quelques-uns. Or le nouvel album "Agent Réel" déçoit. La déception n'engage pas seulement la relation au disque, au groupe, mais il affecte la représentation d'eux-mêmes qu'ont ceux qui attendaient ce disque.
Les voici bafoués dans leur attente, frustrés, privés d'un plaisir là où ils s'attendaient à une satisfaction. Au sentiment gratifiant de recevoir un présent, d'avoir une reconnaissance qui aurait comblé leur sentiment narcissique, s'oppose la frustration.
Donc premier point à évacuer, le nouvel album de Programme, parce que différent des précédents, ne s'adresse pas à la frange d'un public indépendant soi-disant pointu, qui se révèle au final des plus conservateurs.
Qu'était Programme pour ceux qui ont suivi ce groupe? C'était avant tout le héraut d'un malaise, d'un rejet généralisé que les conventions sociales empêchaient de laisser paraître au quotidien. Les textes pessimistes, froids, slammés sur fonds de guitares noisy et de hip-hop minimaliste permettaient à une catégorie de jeunes gens plutôt cultivés, intégrés à la société, d'assumer leur schizophrénie et d'évacuer cette haine qu'ils avaient des autres et surtout d'eux-mêmes, de ce qu'ils étaient devenus dans une société qui leur apportait un certain confort au détriment de quelques valeurs de leurs rebelles adolescences.
O tempera, o mores ! Huit années se sont écoulées depuis L'enfer Tiède. Programme s'était endormi pendant les années Jospin et se réveille durant un quinquennat sarkozyste. Les morceaux sont plus durs, la musicalité est moindre. La voix jadis calme et menaçante est devenue hurlante, la musique moins tendue, plus tournée vers l'expérimental et le bidouillage, certains morceaux flirtant avec l'installation pour œuvre exposée dans un musée d'art contemporain subventionné.
De nihiliste et dépressif, le projet est devenu bruitiste révolté mais semble, malgré son titre, parfois bien détaché du réel. La poésie noire post-adolescente des précédents albums a laissé place à une langue scandée, à des mots hachés, à des phrases pas terminées, à des discours parfois délirants et chaotiques.
Ni décevant comme on a pu l'entendre ici ou là, ni vraiment enthousiasmant, il reste néanmoins quelques bons titres à se mettre sous la dent (dure), "Bruit direct" ou "Ce n'est pas ça". Quant à "Nous", longue improvisation de 30 minutes, on se demande pourquoi la première personne du pluriel est utilisée, tellement ce morceau semble nombriliste; en tout cas, l'auditeur ne semble pas vraiment invité à se joindre à ce "nous".
Peut-être le précédent album aurait-il dû s'appeler "Enfer réel" et celui-ci "Agent tiède".
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