Avant de parler de l'œuvre musicale, c'est-à-dire du contenu de ce disque, il convient de parler du contenant, c'est-à-dire l'objet en lui-même et sa présentation. Lorsqu'on parle d'un vin, avant de citer les qualités gustatives du breuvage, on regardera l'étiquette afin d'en connaître l'origine, voire le cépage. Le vin est-il mis en bouteille au château ou à la propriété ? Est-ce une appellation d'origine contrôlée ? De vieilles vignes ou non ? Un cru bourgeois peut-être ? Et pour les plus connaisseurs, la réputation du vigneron peut même entrer en ligne de compte. Enfin on comparera le prix. Lorsqu'on est au supermarché, devant des centaines de bouteilles, ce sont autant d'indications qui permettront à l'éventuel client de décider de son achat. Alors au rayon disques, qu'est-ce qui va donner envie d'acheter Banana Nation de Laszlo Jones ?
Le choix de chroniquer ce disque au milieu d'autres s'est d'abord imposé en raison du titre. Un souvenir de Ray Ventura, "J'aime les bananes, parce qu'y a pas d'os dedans". Or, à la vue de la pochette, on est sensiblement effrayé. Qu'est-ce donc ? Che Guevara chez Michou ? Manu Chao à la YMCA ? Ce disque avant même de l'écouter se révèle être un cas intéressant de marketing pour école de commerce.
Quel est le paradoxe de l'industrie musicale ? C'est de vouloir vendre un produit de masse en faisant croire à chacun qu'il s'adresse à lui directement, que l'artiste, la chanson, ou le style musical est en communion avec l'intime de l'auditeur. Vous êtes rebelle, vous aimez le rock, mais vous vous sentez concerné par ce qui se passe dans le monde, vous avez tiré la carte U2. Vous êtes homosexuel ou à tendance légèrement dépressive, la vie n'est pas facile, vous vous habillez en noir, mais une rythmique efficace à la radio vous donne envie de bouger vos fesses, vous vous tournerez vers Mylène Farmer. C'est certes caricatural, mais le problème marketing des maisons de disque est bel et bien là : créer de l'identité pour transformer des chansons en produit rentable.
Donc à quel type de public peut bien s'adresser l'effrayant énergumène photographié sur la pochette, qui repousse les frontières du bon goût ? Difficile à définir. Une poche marketing de drag-queens zapatistes ? Lorsqu'on remarque que la maison de disque en question est Universal, la maison de disque des Black Eyed Peas, de Mika ou de Lady Gaga, on se dit que la cible doit être plus large, qu'il faut sûrement prendre Monsieur Laszlo Jones comme une blague pour l'été, la future chanson de TF1, comme un coup destiné à faire danser le samedi soir autour des barbecues dans les jardins de banlieue. Le petit dossier de presse fourni avec le disque parle de "calypso, breaks déchaînés de métal progressif... broadway, groove savamment orchestré qui repose sur un subtil mélange de programmation hip-hop et de jeu funk". On se dit que le service marketing d'Universal est aussi paumé que nous, et qu'ils ne savent décidément pas qui va bien pouvoir acheter ce disque.
On se renseigne sur internet, et on découvre (Tiens, pourquoi le service marketing d'Universal avait-il cherché à cacher cela?) que le producteur de ce disque n'est autre que Pierre Sarkozy, autrement connu sous le pseudo Mosey pour avoir déjà commis entre autres délits de produire Doc Gynéco, et aussi pour être le petit-fils de l'ineffable peintre Pal Sarkozy.
Le disque n'est toujours pas sur la platine, mais on a de plus en plus peur. Des a priori sans doute, mais amèneriez-vous, pour un dîner chez des amis, du vin dans une bouteille en plastique étiquetée "vin de table de la communauté européenne" ?
On se lance, et finalement à l'écoute, le produit se révèle de bonne facture. Très marqué par le son des musicals américains aux résonances jazz et soul, produit d'une manière clinquante qui convient bien à ce genre. On cherche encore le métal progressif là-dedans. Voilà un disque enjoué qu'on écoutera volontiers autour du barbecue cet été, mais plutôt sur l'heure du midi en agréable musique d'accompagnement, légèrement assommé par le rosé, plutôt que pour onduler son corps en soirée. Les cuivres très soul qui ouvrent "My babe's gone black" ou les accents funk de "Free (mix)" montrent qu'il y a là une bonne musicalité et beaucoup de professionnalisme.
Le soi-disant buzz autour du titre "Download me, I'm free", que la maison de disque a essayé de lancer d'une part en raison du titre de la chanson, et d'autre part de l'apparition du producteur (le beau-fils de Carla B.) dans le vidéoclip, ne semble pas véritablement prendre. Opération marketing trop téléphonée pour un monde de l'internet où les choses vont très vite, où l'on cherche la découverte. Les internautes sont venus voir la tête de Pierre Sarkozy sans même se souvenir du nom de Laszlo Jones.
On souhaite donc bon courage au stagiaire de la division marketing de chez Universal lorsqu'il devra expliquer que malgré l'argent investi dans ce produit pour qu'il soit diffusé en boucle sur NRJ, les ventes ne décollent pas par manque de notoriété immédiate de l'artiste.
Et c'est dommage, car ce disque est plutôt un bon produit, finalement pas si éloigné que ça de Ray Ventura, comme son titre le suggérait bel et bien au départ.
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