Réalisé
par John Cassavetes. Etats Unis. Comédie
dramatique. Durée : 1h43. (Nouvelle sortie 9 juin 2010).
Avec Gena Rowlands , Buck
Henry, Julie Carmen, Tony
Knesich, Gregory Cleghorne
et Jessica Castillo.
Au milieu des années 1980, la sortie de "Love Streams"
a permis à John Cassavetes d’imposer enfin
son cinéma. Il y a eu alors en France un "moment
Cassavetes" et la reprise successive de tous ses autres
films a fait événement.
Acteur reconnu mais cinéaste en marge d’Hollywood,
Cassavetes filmait des comédiens expérimentant
des situations d’extrême tension, en prise aux aléas
d’un tournage hors normes hollywoodiennes. Tout semblait
pouvoir se passer et les acteurs et les spectateurs communiaient
à cette liberté retrouvée, heureux de se
sentir dans une modernité cinématographique héritée
de toutes les aventures artistiques en mouvement depuis les
années 1960.
Mais Cassavetes n’est pas un marginal né et,
à côté de ses films vraiment personnels
et totalement indépendants de l’industrie cinématographique,
il a toujours cherché à garder un pied dans le
système des studios.
Tourné en 1980, "Gloria" est donc un film
représentatif de ce compromis puisqu’il respecte
apparemment les fondamentaux du film hollywoodien classique
: une histoire à suspense avec une star à laquelle
on peut s’identifier au centre du récit.
Ainsi, ceux qui ont vu Gloria après les plus radicaux
des films de Cassavetes ("Shadows", "Faces")
ou les plus emblématiques de sa méthode ("Husbands",
"Une femme sous influence", "Love Streams")
ont été inévitablement déçus.
En le redécouvrant aujourd’hui, ils seront surpris
d’y retrouver entière la marque du cinéaste,
pas simplement celle d’un mari voulant magnifier sa femme
et lui permettre d’atteindre enfin le statut de star.
Car Gloria n’a que l’apparence du film qu’aurait
pu tourner un autre cinéaste. Ainsi Cassavetes évite
les scènes de violence, les liquide presque en catimini
et leur préfère des scènes d’attente,
d’entre d’eux.
Partout le film ne cesse d’échapper à
la vraisemblance minimale qu’un spectateur de thriller
demande à son genre de prédilection et le nombre
des faux raccords doit dépasser celui d’"À
bout de souffle".
De sa petite valise qu’elle trimballe d’hôtel
en hôtel, Gena Rowlands ne cesse, par exemple, de sortir
de nouvelles tenues colorées signées Ungaro.
Ce n’est pas grave. Cassavetes respecte apparemment son
cahier des charges lacrymal en confrontant cette femme sans
enfant à cet enfant sans parents. Ce qui l’intéresse,
en fait, c’est visiblement de filmer les déplacements
aléatoires de sa femme dans New York et de lui laisser
le soin de démontrer qu’une grande actrice n’est
pas celle qui minaude avec un orphelin mais celle qui commande
des beignets avec un billet de cent dollars ou paie un taxi
dans la précipitation.
Trente ans après sa sortie, "Gloria" a soudain
pris sa vraie place dans la filmographie de Cassavetes, celle
de bande-annonce de "Love Streams", son dernier film,
son chef d’œuvre. |