Réalisé par Jean-Luc Godard. France. Comédie dramatique. Durée : 1h29. (Sortie 23 juin 2010 - Première sortie 1960). Avec Jean-Paul Belmondo, Jean Seberg, Jean-Pierre Melville, Roger Hanin et Daniel Boulanger.

On a tout dit, on a tout écrit sur "A bout de souffle". A tel point que tout mot supplémentaire prononcé dessus sera une redite. Qu'importe. Il faut penser aux générations futures et faire œuvre utile : il est de salubrité publique qu'aucun ado français ne sorte de l'adolescence sans avoir lu Rimbaud ni vu Godard. Sinon on l'expose à devenir un accro à tous les "I-quelque chose" qui tuent toute idée de fantaisie et de révolte, ces deux moteurs de la jeunesse éternelle.

C'est donc à un adolescent qui n'aurait pas encore vu sur un écran une jeune Américaine en marinière et un Belmondo fumant clope sur clope qu'il faut maintenant s'adresser.

Qu'il regarde ces jeunes gens qui ont l'âge de ses grands-parents et qu'il découvre ce sentiment de liberté que pouvait avoir le spectateur de 1960 emporté dans ce maelström non conventionnel.

Évidemment, pendant que Jean Seberg vend "New York Herald" sur les Champs-Élysées et que Belmondo téléphone avec des jetons, on est pleine guerre d'Algérie, et le matérialisme des Trente Glorieuses se profile en cette année 01 du gaullisme triomphant. Ici, et certains l'ont écrit*, on aura le portrait d'une jeunesse dorée, mais d'ailleurs pas insouciante, et la liberté qui crève l'écran à chaque plan inspiré de Godard annonce les révoltes étudiantes de la décennie suivante plus que les combats sociaux contre l'exploitation capitaliste.

"A bout de souffle" se moque bien de ces réserves : en cinquante ans, le film de Godard est devenu un film à part. Pas celui qui a été la bande-annonce d'une Nouvelle Vague vite vieillie, mais celui qui donnait l'espoir qu'un autre cinéma était à portée de caméra et qu'il allait contribuer à changer la vie.

L'adolescent qui verra cette semaine "A bout de souffle" ressentira-t-il encore ce souffle ? Comprendra-t-il que toutes les "bonnes séries" qu'on lui propose sur les multiples écrans de sa vie ne valent pas une minute de ce film hors du temps, dans lequel Belmondo lit du Faulkner et Jean-Pierre Melville affirme qu'il "croit en la gentillesse" ?

Il faut vraiment jalouser ces filles et de ces garçons qui, ces jours-ci, se retrouveront pour la première fois dans ce labyrinthe des sens qu'est "A bout de souffle". Mais rien n'interdit de se prouver qu'on est soi-même loin d'être à bout de souffle en allant revoir pour la énième fois, et avec toujours le même plaisir, les aventures de Michel Poiccard et de Patricia Francini.