Ah les petites femmes de Pigalle ! Pigalle, ce quartier en contrebas de la pittoresque et désormais naphtalinée Butte Montmartre, ancien repaire des artistes, qui, aujourd'hui encore, nourrit l'imaginaire collectif comme lieu festif de la Belle Epoque où les têtes couronnées venaient s'encanailler dans le milieu du crime puis comme toile de fond des polars de la Série noire des années 50.
Parmi les hauts lieux qui ont traversé le 20ème siècle en devenant légendaires, et qui attirent dorénavant les touristes notamment étrangers, le Moulin Rouge, qui a ouvert ses portes en 1889, fonctionne toujours comme salle de spectacle, temple de la revue à la française avec son incontournable french cancan.
Le Moulin Rouge est donc plus que centenaire et son histoire est racontée par Alain Weill dans un ouvrage bilingue français-anglais "120 ans de Moulin Rouge".
Alain Weill, ancien directeur du Musée de l'Affiche à Paris, expert en arts graphiques, et spécialiste de l'histoire des spectacles populaires, a conçu un beau livre qui se présente comme un ouvrage de référence sur le sujet, tout en évitant l'écueil de l'ennui pédant, et à la portée de tous car rédigé dans une langue synthétique et pleine de verve.
Abondamment illustré, documenté et érudit, et accompagné d'une brève biographie des principaux protagonistes, il narre de manière réaliste et sans emphase, l'aventure épique sans cesse renouvelée du lieu qui, tel un phénix renaissant de ces cendres, a survécu à un incendie, deux guerres et au marasme économique.
L'ouvrage ne retrace pas uniquement la petite histoire du Moulin Rouge avec ses personnages hauts en couleur dont les noms sont encore aujourd'hui familiers au grand public, de La Goulue à Lisette Malidor en passant par Jane Avril, Valentin le désossé, Mistinguett et Edith Piaf.
Il propose également un périple historique au sein d'un quartier populaire de Paris, une incursion dans l'histoire de l'art avec l'art de l'affiche qui a acquis avec les grands affichistes Steinlen, Chéret et Toulouse Lautrec, le premier peintre à se lancer dans cette aventure, ses lettres de noblesse comme art graphique dans le Montmartre de la fin du 19ème siècle avec sa concentration de lieux de divertissement qui l'utilisaient pour faire leur "réclame" et une rétrospective du spectacle populaire.
A cet égard, en effet, le Moulin Rouge, grâce à la perspicacité de ses propriétaires successifs, du tandem fondateur de frères ennemis, Joseph Oller et Charles Zidler, à la famille Clérico, qui en tient toujours les rênes depuis 1951, qui allient avec succès pragmatisme artistique et sens des affaires, a su négocier l'évolution des moeurs et des goûts.
Ainsi, dans un domaine où tout se démode très vite, où la concurrence est rude et le public toujours en quête de nouveauté, le Moulin Rouge est passé des "chahuteuses" du cancan qui animaient les estaminets aux Doriss girls.
Cabaret, bal-concert, théâtre-concert, puis music hall, dans les années 30, il accueille les spectacles de jazz noirs américains, se métamorphose en music hall puis en tremplin de la chanson française après la seconde guerre mondiale avant de prendre modèle sur le Lido pour proposer un dîner-spectacle avec une revue plumes, strass et paillettes qui se succèdent depuis plus d'un demi-siècle dont le titre commence par la lettre F comme femme.
Par ailleurs, le livre est accompagné d'un documentaire sur DVD intitulé "Moulin Rouge Forever" qui grâce aux photos et images d'archives permet de retrouver l'atmosphère et les figures illustres qui ont fait la renommée de ce lieu prestigieux.