Drame de William Butler Yeats,
mise en scène de Eram Sobhani,
avec Stéphane Auvray-Nauroy, Olav Benestvedt, Vincent Brunol, Yuta Masuda, Miglen Mirtchev et Sophie Sire (en alternance Franco Senica).
Dans le cadre du festival "On n'arrête pas le théâtre", destiné aux parisiens qui n'iront ni au On ni au Off d'Avignon, l'Etoile du Nord programme une pièce du répertoire classique irlandais. C'est le moment d'accepter de se laisser surprendre, entre un Feydeau et une création, "Paroles affolées" de Sophie Mourousi.
Yeats, poète irlandais de la fin du XIXe - début du XXe siècle et prix nobel de littérature en 1923, à travers cette pièce souhaite d'une part mettre la danse au cœur de son œuvre et d'autre part donne pour instruction de s'inspirer du théâtre japonais. Pourtant l'histoire est d'inspiration celte.
Le roi a pris pour épouse une mystérieuse jolie femme. Après une année de mariage, il lui demande, devant la Cour réunie, de révéler son identité, mais elle garde le silence. A cet instant, arrive un vagabond ; celui-ci présente deux requêtes au Roi. La première, contempler la reine afin de voir celle pour qui il a écrit une chanson, la seconde, qu'elle l'embrasse par reconnaissance car il a chanté sa beauté à travers tout le pays. Le roi fait alors décapiter l'impudent personnage. Mais la reine se met à danser et embrasse les lèvres de la tête tranchée du poète, tout comme il l'avait prophétisé avant de mourir. Le roi se prosterne alors devant cette femme dont il connaît si peu le passé et reconnaît qu'elle est plus liée au poète qu'à lui, son époux. La tête du poète mort continue à chanter entre les mains de la splendide reine. Au-delà de l'histoire du roi et du vagabond, il s'agit d'une allégorie du travail d'écriture poétique, la reine est l'œuvre du poète, le mendiant le poète. Même après la mort du poète, son œuvre continuera d'exister, sera à jamais son œuvre et on ne pourra faire taire sa voix.
Dans son adaptation, Eram Sobhani invite les spectateurs à se joindre sur scène aux acteurs, les acteurs jouent donc au milieu d'un carré de bancs sur lesquels les spectateurs sont assis. La scénographie de Sophie Courtat permet ainsi de créer à la fois une proximité bienvenue, qui oblige à la vigilance, car le texte est ardu, et une ouverture des points de vue pour le spectateur. Toute la pièce est accompagnée de musique, piano et flûte, composée et interprétée par Yuta Masuda. Ses compositions rappellent l'univers médiéval de l'album "Aïon" de Dead Can Dance. Cette musique soutient l'ambiance empreinte de mysticisme de cette tragédie. Il en va de même des lumières de Xavier Hollebecq et Julien Kosellek, extrêmement simples, qui vont mettre tel ou tel personnage en avant en jouant du clair-obscur.
Le fil conducteur de la pièce est donc cet affrontement entre le roi et le vagabond. Si la prestation des acteurs convainc autant dans la déclamation, en français et en anglais, le chant et la danse, Vincent Brunol, dans le rôle du roi, peine néanmoins à s'imposer face à Miglen Mirtchev, le vagabond, ce qui crée un certain déséquilibre de l'ensemble. Mais peut-être n'était-ce qu'une histoire de rodage lors de la générale.
En conclusion, Eram Sobhani semble s'être plutôt tourné vers un théâtre gothique (on pense au projet, en gallois, "Gododdin" qui réunissait le groupe de musique industrielle Test Dept. et la troupe d'avant-garde Birth Gof, ou aux performances des rouennais de Rosa Crux) que vers le théâtre Nô, pour une pièce surprenante, regorgeant de bonnes idées, mais néanmoins difficile à appréhender. |