Comédie de Francesca Serra et Titiou Lecoq, mise en scène de Camille Kielman, avec Céline Espérin, Prune Derriennic, Kristina Chaumont et Adrien Durrmeyer.
Cette pièce suit les aventures d'une jeune femme à travers la tenue de son blog. Le texte est en grande partie extrait des véritables blogs tenus par les deux auteurs, Francesca Serra et Titiou Lecoq, toutes deux journalistes pour la presse féminine.
La première question qui vient à l'esprit est "Pourquoi la tenue d'un blog ?", puis "Comment cette forme d'expression peut-elle se transformer en spectacle théâtral ?".
Tout d'abord, il y a plusieurs sortes de blogs mais ceux-ci répondent toujours à un certain nombre de critères communs : l'auteur est responsable de ce qu'il écrit sur son blog, celui-ci est constitué de courts billets, généralement du texte mais peut être enrichi par des photos ou d'autres matériels, ils suivent un ordre chronologique mais sont aussi classés en fonctions de "tags" et demandent donc au blogueur de définir un classement, enfin il est gratuit, accessible à tous et régulièrement mis à jour.
Dans les différents blogs, on retrouvent ceux destinées à partager son intérêt pour un sujet avec les lecteurs potentiels afin de diffuser de l'information (plus ou moins exacte et objective), que celle-ci traite de la vie de l'entreprise pour certains blogs institutionnels, à l'actualité économique, juridique, politique, etc..., à la mise en ligne de recettes de cuisine, ou des dernières nouvelles sur les héros de Twilight ou Justin Bieber (liste non exhaustive). Il y a aussi ceux qui visent à partager les idées et la vision du monde de l'auteur avec ce tiers anonyme qui surfe sur internet, ce dernier auquel ce billet s'adresse est alors invité à répondre à l'issue de la lecture afin d'enrichir le débat.
Enfin il y a le blog-journal intime, dans lequel le propos est alors totalement subjectif, et qui permet à l'auteur de mettre en scène et réécrire son quotidien, en relatant à sa manière les évènements auquel il, et plus souvent elle, a été confronté.
La pièce "Blogueuse" tire sa substantielle moelle de deux blogs qui sont à classer dans cette dernière catégorie. Il peut donc y avoir matière à créer une œuvre pour se raconter comme l'avait fait Nanni Moretti dans "Journal Intime (Caro Diaro)". Mais si la voix de Nanni Moretti, réalisateur de talent, reconnu, engagé socialement et politiquement, utilisant un média dans lequel il excelle, le cinéma, vaut la peine d'être écouté, qu'en est-il des aventures et états d'âme des deux auteurs? Les tags qui pourraient avoir été mis en place par les auteurs seraient pour "Blogueuse" : relations amoureuses, expériences vécues, et "ma vie, mon œuvre, mon blog".
On peut reconnaître des qualités rédactionnels au texte et un aspect sociologique à ce travail. Dans la période actuelle où "c'est en faisant n'importe quoi, qu'on devient n'importe qui" comme le dit Rémi Gaillard sur son site jackassien, cette pièce respire tout à fait l'air du temps. De plus, le texte fourmille de références dans lesquels le spectateur trentenaire/quadragénaire pourra se retrouver : un marathon "How I met your mother", assister à un cours de krav-maga – ce qui renvoie d'ailleurs à un épisode de la saison 2 d'HIMYM -, prendre le métro, faire du shopping avec une amie...
La différence avec un spectacle comique de one-(wo)man show est avant tout mécanique, et c'est là que le bât blesse. Mieux écrit que la plupart des spectacles comiques, qui tournent souvent autour des aventures quotidiennes de l'acteur en scène, "Blogueuse" n'enchaîne pas les bons mots ou les situations tournant à un désastre de plus en plus délirant, "Blogueuse" reste à hauteur humaine, et tend parfois à l'exercice de l'auto-complaisance.
La mise en scène de Camille Kiejman donne du rythme à cette histoire, qui tient pourtant d'abord de l'exercice littéraire. S'appuyant sur trois jeunes actrices talentueuses, Céline Espérin, Prune Derrienic, et surtout Kristina Chaumont dont le jeu nuancé contre-balance les propos souvent exagérés du texte, Camille Kiejman parvient à insuffler de la vie à cette écriture. A tour de rôle chacune des actrices cite une partie du texte alors que les deux autres miment, interviennent, relancent le propos.
Si "Blogueuse", qui vise avant tout la cible générationnelle des trentenaires urbains, permet au spectateur de reconnaître certains traits de caractère de lui-même ou de ses proches, et même si certaines saynètes par leur ton acidulé amusent franchement, la tentative pour clôturer la pièce sur une ouverture à la réflexion sur la médiatisation volontaire de soi-même à travers le blog manque de poids, surtout lorsqu'elle cherche à dénoncer la mise sous les projecteurs pas toujours souhaitée des proches de la blogueuse.
Au final, le personnage autour duquel la pièce tourne cantonne de manière trop évidente le monde à son petit univers. Il ne s'appuie pas sur un propos, des valeurs, des expériences assez universelles pour totalement convaincre le spectateur, ni n'explore la voie de la caricature à gros traits qui permettrait d'exploiter, d'une autre manière, tout le potentiel de farce de cette pièce. |