Comédie dramatique de Henrik Ibsen, mise en scène de Hans Peter Cloos, avec Jacques Weber, Mélanie Doutey, Edith Scob, Jacques Marchand, Nathalie Niel, Thibault Lacroix et Sava Lolov.

Henrik Ibsen, ce dramaturge venu des terres septentrionales scandinaves, a souvent pour réputation la froideur de ses origines. L’auteur de "La maison de poupée » n’a certes pas la fougue sanguine d’un Goldoni. De là à lui coller une étiquette d’auteur "cérébralement casse-bonbon"…

Hans Peter Cloos a pris le parti de présenter "Solness le constructeur", pièce moins connue d’Ibsen que "Peer Gynt" ou "La maison de poupée", comme une comédie humaine plutôt que d’en accentuer les sombres détours. Sa mise en scène énergique, le dépoussiérage et l’ancrage de l’œuvre dans un contexte très contemporain (qui croirait que cette pièce date de 1892 quand déboule sur scène Mélanie Doutey en bottines et short de bimbo sur collant noir ?) auquel participe le décor de Jean Haas sont sans équivoque. Nous sommes en 2010 avec un texte écrit un siècle plus tôt et les rires seront de mise.

Le Solness du titre n’est pourtant pas un personnage de comédie. Sous la faconde rugissante dont Jacques Weber ne se prive pas d’accentuer (voire d’exagérer) la verve et le verbe (un peu dommage tous ces "bordel" dans la bouche du comédien…) se cache un vide existentiel vertigineux fait de deuils et de ravages.

Solness a atteint la cinquantaine. Ténor de l’architecture, il a aussi bien réussi à construire des immeubles qu’à tout détruire dans sa vie privée, s’enfermant dans sa tour d’ivoire, coincé entre les spectres d’un passé très noir et l’appréhension d’un avenir sans espoir. Ainsi son épouse (Edith Scob sublime comme toujours avec ce phrasé qui vous tiendrait en haleine même si elle lisait le code pénal) qu’il délaisse, qu’il trompe et qui lui est pourtant dévouée corps et âme. Ainsi cette jeune femme tout juste sortie de l’adolescence et qui revient hanter le grand maître qu’elle a connu petite fille. Ainsi cette Hilde arrivée d’on ne sait où et qui va chambouler le quotidien de cet homme usé, aigri et désabusé. Ainsi ce projet que Solness refuse de valider à son employé et dont le père agonisant pourrait tirer une ultime fierté avant le grand départ.

Ce chassé croisé amoureux aux accents de marivaudage parfois cruel est mené avec beaucoup d’entrain. Si les seconds rôles manquent parfois de crédibilité, le trio vedette fait un sans faute. Bien sûr Jacques Weber et Edith Scob, mais cela relève du pléonasme.

En revanche, la grande et belle surprise vient de Mélanie Doutey. Cette lumineuse comédienne qui navigue aisément au cinéma entre Chabrol et Jolivet, comédies déjantées et bluettes sentimentales, prête à son personnage son exquise fraîcheur. Son bonheur de jouer se lit à chaque instant et autant dire que face à Jacques Weber, avec lequel elle a de nombreux échanges, le défi était de taille. Petit à petit, elle se construit une bien belle carrière…