Réalisé
par Luca Guadignino. Italie. Drame.
Durée : 1h58. (Sortie 22 septembre 2010). Avec Tilda Swinton, Alba Rohrwacher, Pipo Delbono, Marisa Berenson et Maria Paiato.
À l’exception de quelques réalisateurs ayant une réputation internationale (Bertolucci, Bellochio), depuis quelques décennies, le cinéma italien s’est souvent cantonné dans l’illustration de sujets de société ou dans une petite musique intime dans la lignée des films autobiographiques de Nanni Morreti ou des comédies de Roberto Begnini.
Dans "Amore", Luca Guadignino retrouve une ambition perdue en décrivant comment une famille de grands industriels milanais sombre dans la tragédie alors qu’elle est en train de vendre son âme au capitalisme financier mondial.
Le nom de Luchino Visconti vient forcément sous la plume, d’autant que l’on retrouve dans "Amore" une actrice viscontienne, Marisa Berenson et que Tilda Swinton, avec son élégance androgyne et sa sensualité post-chrétienne, n’aurait pas déplu au prince cinéaste.
Luca Guadagnino décrit avec un soin méticuleux la vie de la famille Recchi. Quand on fait l’amour, on enlève soigneusement ses bijoux, quand on prépare une réception, on dispose avec un raffinement de supplice chinois les ingrédients dans les assiettes de porcelaine.
Tout est beau jusqu’au mauvais goût et Luca Guadagnino ose avec un plaisir d’esthète jouer tous les coups permis du mélodrame en les installant dans un décor d’opéra. Plus que de mise en scène, il s’occupe de scénographie et ce n’est pas un hasard si on est à deux pas de la Scala.
Mais Luca Guadignino n’est pas un imitateur académique de Visconti. Sa caméra n’a pas le maniérisme de celle du créateur des "Les damnés" et ses personnages sont à la fois moins douloureux et moins schématiques. Il évoque plus qu’il incarne et n’ose ni lyrisme ni le déraisonnable.
On pourra regretter qu’il n’aille jamais dans l’excès et la grandiloquence, alors qu’avec Tilda Swinton il dispose d’une des actrices les plus extraordinaires du moment.
On pourra au contraire le remercier de ce "viscontisme" dégraissé et le féliciter d’assumer ses différences, avec une photographie de Yorick Le Saux qui ne surligne pas la beauté des décors et s’attache plutôt à trouver celle des corps et préfère magnifier la nature que la culture.
Au bout du compte, les spectateurs seront forcément repoussés dans deux camps terriblement antagoniques : ceux qui apprécieront les partis-pris, la cérébralité de ce travail qui rend riche une fiction qui sur le papier pourrait n’être que platitude, et ceux qui n’y verront à l’inverse qu’une construction vaine, chic et toc.
Les deux camps se réconcilieront sans doute sur le devenir de Luca Guadagnino qui a tout pour faire une grande carrière. Reste à savoir s’il elle se développera sur le registre de la controverse ou si elle réussira à dépasser cette étape pour parvenir à un cinéma plus unanime, voire populaire. |