Réalisé
par Sophie Letourneur. France. Comédie.
Durée : 1h32. (Sortie 13 octobre2010). Avec Sarah Jean Sauvegrain, Eulalie Juster, Mahault Mollaret, Elsa Pierret, Jade Tong-Cuong et Angèle Ferreux.
Quand il parle de la jeunesse, le cinéma français n’aime que les extrêmes : les banlieusards désoeuvrés en situation d’échec scolaire ou les étudiants ultra-privilégiés pour qui le monde (leur monde) est un village planétaire où tout leur est possible, même de traire des vaches...
C’est encore une fois le cas avec Sophie Letourneur qui suit une saison de la vie d’un groupe d’étudiants issus du même lycée ultra-sélect et qui se partagent un appartement propice aux beuveries et aux fous-rires, qu’ils appellent le "Ranch".
Ce qui ne pourrait être qu’une anecdote devient une vraie tranche de vie de patachon grâce au talent hors normes de la réalisatrice. Du brouhaha de conversations perdues aux sorties dantesques au Baron, elle construit un vrai portrait d’une jeunesse, certes totalement non-représentative de la société française, mais quand même exemplaire d’un petit bout de l’iceberg des vingtenaires attardés des années 2000.
Ainsi, on découvrira dans "La vie au Ranch" que l’ailleurs pour la jeunesse favorisée n’est plus ce New York cosmopolite qui les fascinait tant dans les décennies qui précédaient le "11 Septembre" mais le Berlin "arty" d’aujourd’hui, sage vitrine d’un possible européen, dont ils seraient les principaux bénéficiaires.
On pense, c’est presque un lieu commun, au cinéma de Jacques Rozier, et d’abord aux filles qui passaient leurs vacances "Du côté d’Orouët",
mais c’est sans doute à Cassavetes et à son "naturel artificiel" qu’elle doit le plus. En effet, elle ne fait pas confiance à un cinéma où les scènes sont improvisées pour que surgisse une vérité inattendue. Au contraire, tout est écrit, maîtrisé, contrôlé, fabriqué
pour faire sens.
Et le pari audacieux de Sophie Letourneur s’avère une réussite : ces jeunes gens, pas du tout acteurs, s’incarnent dans leurs personnages au point de faire croire qu’ils ne les jouent pas. On saisit alors un peu de leur air du temps, en songeant déjà que Sophie Letourneur est une des premières, envers et contre tout sociologie, a donné sa
couleur au siècle naissant.
Un film qu’il faut voir dès aujourd’hui avant d’être contraint de le faire quand il sera communément recensé pour ce qu’il est : un des meilleurs films français de ces dix dernières années. |