Francis Picabia a dit : "C'est une lâcheté que d'applaudir à toutes les idioties que l'on nous montre sous prétexte de modernité." Avec History Of Modern, ceci ne risque de toute façon pas d'arriver à Orchestral Manoeuvre In The Dark, alias "Manoeuvres Orchestrales Dans Le Noir" dixit les belges Sttellla sur leur single (ou 45 tours peut-être) "Années 80".
Qu'est-ce que la modernité ? Ce n'est pas ce qui est neuf. C'est avant tout ce qui établit une rupture avec ce qui existait avant. En musique, des Lenny Krawitz ou des Interpol ne seront jamais modernes puisqu'ils singent ce qui existait il y a vingt ou trente ans. La modernité est appelée à toujours se renouveler, à rendre classique ce qui jadis avait paru révolutionnaire.
Le dernier album d'OMD ne prétend donc pas sonner de manière moderne, mais il rappelle ce qu'était la modernité à l'époque de leurs jeunes années et de leur gloire passée, c'est-à-dire entre 1979 et 1983. Au-delà de 1983, ce groupe, copié et plagié, ne sonnait déjà plus moderne même s'ils continuaient à creuser le sillon d'une agréable synthpop. Electricity sorti en 1979 sur le label Factory - le label indépendant de Joy Division -, a été un des grands coups de semonce de la musique electro. Electricity, puis rien ne fut jamais plus comme avant. Ni pour OMD, ni pour le monde de la pop music.
A l'époque, il y avait Depeche Mode, Gary Numan, DAF, Human League, Soft Cell, Lio, Jacno, ceux qu'en France le magazine Actuel avait appelé "les jeunes gens mödernes", des groupes underground issus des mouvances post-punk, new-wave, cold-wave et novö. En précurseurs, il y avait eu Suicide, Kraftwerk, Pierre Henry, Tangerine Dream... Une page de la musique populaire était en train de se tourner, OMD s'y est engouffré. Avant eux et consœurs, point de musique électronique populaire.
Il faut, en plus, resituer dans l'époque ce que cette musique a représenté en France. 1981, élection de François Mitterrand. Au niveau culturel, Jack Lang aux affaires : début des radios libres. Un jeune présentateur, avec un triangle de cheveux bleus à la base de la nuque, prenait les commandes du samedi après-midi dans la petite lucarne, il se nommait Alain Maneval. Même si la forme plus que le fond changeait, le choc fut brutal pour les ménages provinciaux, encore à table devant le jambon-purée à cette heure-là. Ce triangle bleu dans les cheveux alors que la couleur venait d'apparaître, à peine quelques années auparavant, sur les écrans cathodiques.
C'était avant la catastrophe de Bhopal, avant Tchernobyl, avant le sida, avant le règne de la communication partout et de la finance folle. C'est à l'aune de tous ces éléments qu'il faut comprendre l'attachement des quadras à ce groupe propret de garçons-coiffeurs. Oui, la musique d'OMD résonne comme une bande-son de l'époque, une époque colorée aujourd'hui de tons scépia.
Alors quid du nouvel album ? Il sonne daté. Les garçons d'OMD font ce qu'ils savent faire au risque de sembler aujourd'hui dépassés et ringards. Mais il le font bien.
Il y a d'abord la voix d'Andy McCluskey qui n'a pas pris une ride. Ensuite, il y a des chansons pop, mélodiques et agréables.
Et derrière les musiques, les paroles, un œil dans le rétroviseur et un peu d'acidité sur les lèvres. La première chanson, "New Babies, New Toys", en est une parfaite illustration : "They don’t want you, they don’t need you, they just use you, they just bleed you / There’s no heaven, there’s no hell. Cream will float, but shit will sell" ("ce n'est pas qu'ils vous aiment ou qu'ils ont besoin de vous, ils ne font que vous saigner, se servir de vous / Ce n'est ni le paradis, ni l'enfer. La crême flottera toujours, mais c'est la merde qui se vendra.").
On aurait pu penser qu'une chanson comme "Sister Mary says" aurait été un bon single pour lancer le disque. Écrite en 1981, sur les mêmes quatre accords que "Enola Gay", elle a un côté légèrement parodique, mais immédiatement reconnaissable du style OMD. On aurait pu aussi croire à "History Of Modern part II" avec son intro presque semblable à "Souvenir", ou encore à "History Of Modern part I" dans le style "Tesla Girl", comme bon single de lancement. Malheureusement, le premier single, "If you want it", rappelle plutôt "So in love" ou "Forever Live and Die", lorsqu'OMD, au milieu des années 80, suçait la roue de Spandau Ballet, voire rappelle le sirupeux essai de come-back opéré en 1996 avec "Walking on the milky way".
La pochette a été dessinée par Peter Saville, graphiste du label Factory au début de eighties, mais ceci est de l'ordre de l'anecdotique. Même l'animation flash du site officiel d'OMD est buggée. Il faut croire qu'ils ont aussi pris un infographiste qui a commencé sa carrière en 1980, et a un peu de mal à se tenir informé des nouveautés.
Actuellement de nombreux groupes de jeunes gens nés entre 80 et 90 recopient la musique qu'écoutaient leurs parents, j'ai nommé XX, Foals, LaRoux, Editors, Horrors et compagnie... Il n'y a clairement rien de moderne dans ces groupes, et la conclusion principale qu'on en tirera est que ces groupes sont composés de gentils petits dont la crise d'adolescence, malgré leur look, ne s'est pas soldée par un rejet en bloc de la culture de leur papa et de leur maman. OMD montrent donc - raisonnement par l'absurde - qu'ils sont encore capables de faire des disques pertinents. Par contre, ce qui est sûr, c'est que si on aime la synthpop, on prendra plaisir à écouter ce disque, presque comme un best of de b-sides du groupe, petit plaisir qu'on avouera plus ou moins honteux. Finalement, on retrouve dans History Of Modern tout autant ce qui fut le meilleur que ce qui fut le pire d'OMD entre 1980 et 1986.
En conclusion, History Of Modern est un disque dans l'air du temps, puisque l'air du temps consiste à croire que, hier, tout était plus rose, et qu'il faut forcément avoir peur de demain. |