Réalisé
par Luc Joulé et Sébastien Jousse. France. Documentaire.
Durée : 1h21. (Sortie 17 novembre 2010).
En ces temps où les mots semblent retrouver du sens, le titre du documentaire de Luc Joulé et Sébastien Jousse sonne déjà comme un appel à la résistance. En effet, on imagine que les technocrates libéraux qui ont scellé le sort présent et futur de la SNCF le ressentent déjà comme une provocation. Ne manque peut-être qu’un point d’exclamation pour qu’il soit un cri de ralliement : "Cheminots !".
Le cinéma a commencé dans une gare, celle de la Ciotat. Et c’est là que Joulé et Jousse commencent leur exploration de ce monde en soi qu’est le monde du rail.
Oh ! Ceux qui fantasment les cheminots comme des grévistes professionnels, comme des pervers s’amusant à rendre difficile la vie des voyageurs, en seront pour leurs frais. Ici, c’est la face cachée par les médias qui est montrée : celle où des agents concernés par leur métier, mus par des solidarités qui n’ont pas cessé depuis la "bataille du rail", font de leur mieux pour que fonctionne une entreprise géante, véritable poumon de la France populaire et cela envers et contre tous les bâtons que déposent sur leurs rails les tenants de la dérégulation.
On verra donc enfin sur un écran des hommes et des femmes fiers de leur travail, fiers de défendre le service public, souffrant que l’on fasse tout pour les casser, pour leur enlever la flamme qui les habite.
Agents de circulation, agents de maintenance, agents d’accueil, agents de régulation du trafic, tous se succèdent dans un film où l’on ne sera pas étonné de voir apparaître des hommes qui prêchent le "non" de la révolte citoyenne : Ken Loach et Raymond Aubrac.
En suivant ce travail simple et didactique, on comprendra mieux les enjeux sociaux du moment et toutes les questions mal posées, volontairement ou pas, deviendront caduques.
Aucune crainte, en outre, de s’ennuyer. Sans chercher une forme originale, Joulé et Jousse font le tour de leur sujet avec beaucoup de soin sans oublier la dimension cinéma. La scène, entre autre, où ils projettent à des cheminots The Navigators” de Ken Loach, racontant la privatisation des chemins de fer anglais, dégage une vraie émotion cinématographique. De cette confrontation du réel avec une fiction sur le réel, naît une réflexion sur ce que le cinéma aurait pu être ou pourrait être encore.
Comme tous les grands documentaires, "Cheminots" charrie beaucoup de colère et condamne par avance ce qui risque d’advenir. Reste, dans cet océan de désespoir, l’espoir que l’action des hommes de bonne volonté pourra arrêter la machine infernale. La semaine dernière, sur Froggy, Franck Bortelle parlait très bien d’un film américain, "Unstoppable" curieusement en adéquation avec "Cheminots". Dans le film de Tony Scott, des cheminots américains condamnés socialement essayaient d’arrêter un train fou.
C’est ce que Joulé et Jousse, en porte-parole crédibles de la famille cheminote, veulent éviter en en appelant à l’esprit de résistance par la voix superbe de Raymond Aubrac.
Au moment où la direction de la SNCF se met dans les pas de ses dirigeants de l’époque vichyste en faisant repentance pour le transport des déportés, les cheminots, eux, demeurent les dignes héritiers de ces milliers d’agents qui ont donné leur sang pour que ces déportations n’aient pas lieu. |