Crise de mauvaise foi au transbordeur
Chère Carmen,
Je n’ose écrire "très chère Carmen", vu qu’invité par C’Kel prod, tu ne m’as rien coûté pour l’occasion. Comme tu le sais, en ce bas monde il n’est pas de petite économie… Pour autant je ne peux me résoudre à entamer cette correspondance par "Carmen gratuite" ou "Carmen exonérée" par peur, en ces périodes de troubles sociaux, d’attaques en direction de ma personne, pour cause de privilèges abusifs ostensiblement affichés… Tu sais comment sont les pauvres ! Mais rassure-toi Carmen, ma rigueur éthique de chroniqueur, mon immense intégrité morale et mon honnêteté intellectuelle sans faille m’ont forcé à la plus grande vigilance pour ne pas abuser de la situation. Aussi je suis arrivé bien après le milieu de ton concert, me préservant ainsi de toutes accusations désagréables !
Permets-moi de t’écrire, Carmen, en tout premier lieu, que j’ai trouvé ce bout de concert de 40 minutes bien court ! Je suis bien heureux de ne pas avoir payé !
Ne serais-tu pas en train de te faire influencer par les revendications anarcho-syndicalistes de vagues intermittents du spectacle, qui poussent la provocation jusqu’à afficher sur scène, dans un élan de populisme machiavélique, un vert maillot de l’ASSE, pour s’attirer les faveurs du public et te tenir encore un peu plus en otage chaque jour ! Méfie-toi Carmen… Tu sais comment sont les pauvres… Matthieu Côte t’avais prévenu ! Quoi qu’on leur dise, et surtout quand on leur parle de foot, "ils disent OK… Qu’est-ce qu’ils sont cons !".
Tu as intérêt à remettre de l’ordre dans tout ça ! Oui Carmen, rappelle-leur, à ces graines de terroristes socialo-comploteurs, encore et encore, ces principes sacrés que tu défends avec ardeur : "Hiérarchie, hiérarchie, ma chérie" !
Rappelle-leur qui est la patronne ! Et rappelle-le à tous… Car maintenant qu’on en parle... Ne trouves-tu pas comme moi, que tes musiciens aussi commencent à prendre un peu trop de liberté ? Tout le monde chante, tout le monde salue… et pourquoi ne pas mettre leur nom sur l’affiche aussi ! Méfie-toi de ces gens, Carmen... Envoyés par le Komintern, ils ont commencé à t’amadouer en excellant, qui à la batterie, qui à la contrebasse, qui à la guitare, et puis petit à petit, centimètre par centimètre ils gagnent un peu plus de place sur scène, ces petits vicieux…
Méfie-toi particulièrement du grand là, Max, qui, sous prétexte qu’il écrit et compose pour toi, se prend pour un intouchable ! Il ne recule devant rien. Il te traite de "menteuse", se moque de tes "antidépresseurs"… Carmen, toi qui a largué Brad Pitt et Johnny Depp, que t’embarrasses-tu de ce petit personnel ? Ce Max porte sur son visage cette déviance calculatrice et je le soupçonne de travailler en sous-marin pour te pousser vers la sortie… Ne prend-il pas déjà ta place au chant pendant le concert ? Ne chante-t-il pas déjà ses compositions personnelles à ton public ? Et puis je te le demande Carmen, peut-on avoir confiance en un homme qui "aime la chanson française à la sauce béarnaise" ? Et s’il commence à affirmer qu’il "aime la chanson rebelle à la sauce béchamel", il ne reste qu’un pas avant qu’il ne te double pour affirmer qu’il préfère la chanson en solo à la sauce marengo !
Et le public dira : "OK…" Qu’est-ce qu’ils sont cons ! Parlons-en de ce public… trop nombreux ! C’est insupportable… impossible de circuler tranquillement dans cette salle. Et que ça hurle, et que ça gesticule, et que ça chante ! Carmen, tu as raison, nous vivons dans "une société de fous" ! Bon OK, cette date préfigurait la fin de ta longue tournée. Bon d’accord tu jouais pour l’occasion un peu chez toi, en famille, à Lyon… Mais était-ce vraiment une raison pour venir si nombreux et si excités ? Les gens ne sont pas raisonnables… Ils crient avec toi que "la jeunesse est perdue", ils pleurent en bord de scène les méfaits de "la picole", ils scandent que "les gens sont gentils" bras au ciel… Mais ils ne savent pas ce qu’ils veulent ! "Des fois il vaut mieux se taire, à vouloir bien faire, on aggrave son cas…" ! Bien dit Carmen ! Remarque ça n’a pas vraiment calmé tes amis… Enfin ces gens qui ont dû te croiser une fois à Lyon il y a quelques années et qui viennent se pavaner crânement au milieu de la fosse en poussant des hurlements de connivence pour mieux profiter à leur niveau d’un moment de gloire indirecte…
Bon… Et bien ça marche ! Je suis encore vert de jalousie… Jalousie qui a atteint son paroxysme quand Loïc Lantoine et sa bande de petites frappes sont entrés en scène pour finir le concert en ta compagnie ! Serais-je le seul dans cette salle à ne pas être ami avec toi Carmen ? Tu ne m’as pas adressé un regard de tout le concert – enfin le bout auquel j’ai assisté. Pourtant nous nous connaissons bien, nous nous sommes vu au festival Paroles et Musique il y a quelques mois. Nous avions vécu ensemble un moment intense ! Si, si, rappelle-toi Carmen… Tu étais sur scène… et moi au 18ème rang… à gauche… J’avais un pull noir… Non ? Bon tant pis…
De toute façon, en réalité, Carmen, je ne souhaite pas vraiment compter parmi tes amis. Et ce pour deux raisons. Un, parce que je boude et que je fais ce que je veux. Et deux, parce que la Carmen forte en gueule, punk, agressive, provocatrice, à la voix hors du commun, à l‘interprétation juste à tous les coups, cette Carmen scénique me va bien, très bien. Et si on imagine derrière le maquillage une autre Carmen, plus douce, moins sûre, une Carmen de l’intime sous la croûte épaisse, celle qui parfois pointe le bout de son nez en toute fin de chanson, l’espace d’une seconde, celle qui est touchée par ce qui lui arrive, reconnaissante du travail de chacun, cette Carmen mérite de vibrer en coulisse entourée de son petit monde.
Carmen, je conclus quand même en te confessant que je suis en fait très déçu que tu ne m’aies pas attendu pour commencer ton show mais que je ne t’en veux pas car, si ce courrier ne vaut pas une chronique, ces 40 minutes de concert valaient bien 4 heures de la plus grande symphonie ! Et la prochaine fois je te le dis, peu importe la hiérarchie je serai là à l’heure… Même s’il m’en coûte tout l’or du monde, très chère Carmen… |