Spectacle écrit par Juan Carlos Zagal et Laura Pizarro, mise en scène de Juan Carlos Zagal, avec Zagal, Ita Montero, Cristián Garín et José Manuel Aguirre.
La compagnie chilienne Teatrocinema, revenait au Théâtre des Abbesses un an après y avoir joué "Sin Sangre". La spécificité de cette troupe est de proposer des spectacles qui sont un pont entre théâtre et cinéma.
Des projections en arrière-plan en constituent les décors mouvants. Quant aux "accessoires" ou "décors en premier-plan", ils sont réalisés à partir de films projetés sur des plaques blanches, découpées selon les formes de l'objet, qui glissent sur des rails entre les acteurs et les spectateurs. Par exemple, en arrière-plan une route défile, les acteurs sont assis derrière une plaque en forme de voiture, et l'illusion de la perspective, des phares, des lumières qui balaient le capot est rendue par procédé cinématographique. L'espace de jeu des comédiens se trouve donc réduit à un couloir entre deux écrans.
La pièce "Sin Sangre" s'articulait autour d'une histoire de vengeance dans une atmosphère de film noir. Le vocabulaire visuel du film noir (les néons qui trouent la nuit obscure, le héros dans un halo lumineux...) s'intégrait parfaitement à l'histoire. Bien que le procédé soit techniquement parfait, les comédiens semblaient pourtant ne pas pouvoir s'exprimer complètement en terme de jeu, à l'étroit entre leurs deux écrans. De plus, le spectateur avait parfois l'impression d'assister à un film où les comédiens étaient toujours filmés à une même distance, et où les notions de champ/contre-champ étaient ignorées.
"El Hombre que daba de beber a las mariposas" ( "L'homme qui donnait à boire aux papillons", le titre du spectacle est en espagnol puisqu'il est donné en version originale surtitrée) est une histoire fantastique.
Un vieil homme part accomplir un rite ancestral, donner à boire aux papillons qui viennent de sortir de leur chrysalide. Les papillons trouveront ainsi la voie dans leur migration, et celui qui donne à boire aux papillons atteindra un état de conscience supérieur. Cependant l'homme est vieux, et alors qu'il se rend dans un parc en ville en espérant assister à la métamorphose des papillons, il est pris d'un malaise. A son réveil, il découvre penché au-dessus de lui un réalisateur venu en visite dans le parc avec le couple vedette de son film. Eux viennent admirer la statue d'un chevalier qui a inspiré le personnage principal du film. Un papillon va pourtant se poser sur le poignet du vieil homme et boire dans le creux de sa main. A travers les yeux du vieil homme, dorénavant passé dans un état de conscience supérieur et capable de voyager d'un esprit à l'autre, les spectateurs découvriront le parcours de chacun des personnages et celle du chevalier.
Le langage cinématographique se prête à illustrer les scènes fantastiques de ce joli conte sur la transmission et l'obligation d'assumer la responsabilité de ses actes. Ainsi lorsqu'on assiste à l'envol des papillons ou à des scène des bataille en fond de scène, le spectateur est plongé dans l'action.
Dans une pièce de théâtre "traditionnelle", ces scènes pourraient être suggérées ou expliquées, mais ne seraient pas illustrées. De plus, par rapport à leur pièce précédente, on remarque une ré-appropriation de la perspective par la compagnie Teatrocinema. En projetant en avant de scène une image en gros plan d'un des personnages, l'acteur, même s'il conserve sa taille, donne l'impression d'être très loin en arrière-plan. De même, une scène dans laquelle l'acteur joue à l'horizontale donne l'impression d'un changement de perspective pour la caméra, et donc pour l'œil du spectateur. Le vocabulaire cinématographique de la troupe s'est donc largement étoffé en un an.
Cependant, comme précédemment, le mode d'expression des comédiens (Laura Pizzaro, Juan Carlos Zagal, Ita Montero, Cristián Garín et José Manuel Aguirre) limité à l'espace entre les deux écrans, demeure affadi par le procédé. Il se mue souvent en une chorégraphie millimétrée sur une mince portion de scène afin de rester synchrone avec le film projeté en arrière-plan : lorsque le "décor" est filmé de face, le comédien fait face au public, mais lorsque la perspective change par un travelling de côté, le comédien se tourne de profil, au même rythme que le film, afin de continuer de donner au spectateur l'illusion qu'il est plongé dans le décor. Techniquement réussi, les acteurs sont bien raccord avec le film du décor, ce procédé pèse lourdement sur leur jeu.
Si la scénographie de Christian Mayaorga, Vittorio Meschi et Luis Alcade, et le positionnement des acteurs sont époustouflants, s'agissant de la partie filmée, de nombreux arrière-plans crées à la palette graphique paraissent rudimentaires. L'ensemble des images donne l'impression que l'action se situe dans un monde virtuel. Or le personnage du cinéaste exprime le souhait que les spectateurs de son film croient à son histoire.
Les auteurs de la pièce, Juan Carlos Zagal et Laura Pizzaro, admettent donc le cinéma comme une certaine représentation du réel, ou du moins comme la représentation d'un univers cohérent auquel le spectateur puisse croire. L'utilisation des images de synthèse pour des lieux de la vie courante (une place à Santiago du Chili, des façades d'immeuble, un couloir...) donnent l'impression que des acteurs vivants sont insérés dans un univers factice à la façon des Sim's, créant ainsi involontairement un décalage énorme avec la déclaration d'intention de la troupe Teatrocinema telle que la décrit le personnage du cinéaste.
Malgré des maladresses puisqu'ils tentent un mélange des genres novateur, "El Hombre que daba de bebera las mariposas" est une curiosité à ne pas manquer en raison de la forme particulière d'expression que propose la troupe Teatrocinema. C'est aussi une pièce à voir pour sa scénographie, sa mise en scène et les déplacements d'acteurs parfaitement maîtrisés, mais surtout pour certains plans (ou certaines scènes) magnifiques et vraiment porteurs de poésie. |