Réalisé par John Boorman. Etats-Unis. Policier. Durée : 1h32. (Sortie 12 janvier 2011 Première sortie en 1967). Avec Lee Marvin, Angie Dickinson, Keenan Wynn, John Vernon, Sharon Acker, Carroll O’Connor et Lloyd Bochner.

Pour les amateurs de romans de policiers, quand Donald E. Westlake signe Richard Stark, il ne faut pas s’attendre à une œuvre qui fait date. C’est pourtant avec "Point Blank", roman sans renom de Westlake-Stark, que John Boorman a réalisé un film qui, au fil du temps, est devenu un classique.

Néanmoins, à sa sortie, le premier film américain du réalisateur britannique n’avait pas séduit. Avoir transformé Lee Marvin, acteur solide comme un roc en une espèce de dormeur à demi-éveillé poursuivant les membres d’une mystérieuse "organisation" paraissait une aberration.

C’était oublier que derrière le visage expressif de celui qui avait longtemps joué les seconds couteaux dans les westerns, avant de gravir une à une les marches de la célébrité pour devenir Liberty Valance ou Cat Ballou, il y avait un comédien subtil capable de rendre crédible la quête fantomatique d’un homme en perdition, trahi par sa femme, laissé pour mort par son meilleur ami.

Ce qui frappe quarante ans après, c’est le plaisir que prend Boorman à filmer l’Amérique qu’il découvre alors, une Californie dans laquelle tout change, avec des maisons pleines de gadgets électriques, des boîtes de nuit psychédéliques, des villes en train de se déshumaniser.

Il y plonge un Lee Marvin attaché à des valeurs déjà disparues qui le poussent irrésistiblement à accomplir un aller-retour mi-onirique mi-réel au cœur de la prison désaffectée d’Alcatraz.

Cinéma déjà allégorique, qui va prendre sa forme et sa force avec les films suivants de Boorman, comme "Duel dans le Pacifique" ou "Délivrance", "Point Blank" flirte parfois avec un certain maniérisme pour marquer la sacrée différence qu’il opère avec la production policière courante du moment. On a parlé de "néo-polar", d’un cinéma qui annonce déjà "The Long Goodbye" (Le Privé) de Robert Altman ou "Chinatown" de Roman Polanski. En tout cas, on est ici clairement devant un cinéma policier d’auteur.

Évidemment, on se perd très vite dans les méandres d’une histoire que ne maîtrise même pas son principal protagoniste. Au bout du compte et des mécomptes, ce film étrange, porté au plus haut par la figure singulière de Lee Marvin, n’a pas menti : on est vraiment arrivé à un point de non-retour, un point blanc comme le vide. On sort de là avec le sentiment rare d’avoir vécu une expérience qui ne peut pas se raconter ni se transmettre avec des mots. La métaphysique n’est pas loin de ce cinéma qui cache bien son ambition folle...