Mauricette Berne, archiviste paléographe et conservateur honoraire des Bibliothèques au sein desquelles elle a été la spécialiste du fonds Giraudoux, co-directrice de la Fondation Jean et Jean-Pierre Giraudoux, et Guy Teissier, professeur à l'Université de Tours, spécialiste de l’œuvre de Giraudoux, viennent de publier sous le titre "Les vies multiples de Jean Giraudoux" une biographie consacrée à l'écrivain français mort en 1944.

En ce 3ème millénaire, le nom de Jean Giraudoux sonne vraisemblablement dans le vide pour le commun des mortels et il n'est sans doute pas classé au top 10, ni même 1 000 des librairies.

Son oeuvre romanesque est passée à la trappe et ses opus dramatiques - qui connurent en leur temps un vif succès grâce à Louis Jouvet, son mentor dramaturgique, alors comédien de renom et directeur en quête d'auteurs de la Comédie des Champs Elysées - dont principalement "Amphitryon 38", "La folle de Chaillot" et, récemment à l'affiche, "La guerre de Troie n'aura pas lieu" et "Ondine", bien que passés à la postérité, sont montés avec parcimonie.

Mais il est vrai également que l'engouement pour les auteurs dramatiques inscrit au répertoire est cyclique. Il suffit donc, comme dit la maxime, de laisser le temps au temps pour re-découvrir une oeuvre au style à la fois classique, par son appétence pour la quintessence de la langue française, et singulier par son registre du métatexte.

Par ailleurs, s'agissant de l'homme, quelques traits réducteurs et définitifs ont la vie dure pour le portraitiser : un écrivain germanophile et antisémite qui serait mort empoisonné par la Gestapo et un homme à l'élégance britannique qui raffolait des cinq à sept avec les jeunes et jolies vendeuses de magasin.

Mauricette Berne et Guy Teissier ont effectué un travail colossal pendant dix années pour éplucher les archives disponibles étant précisé que celles-ci ne comportent ni journal intime, livres de souvenirs ou de mémoires, ni corpus épistolaire permettant de cerner l'intime.

Jean Giraudoux, de son vivant, s'était d'ailleurs volontairement abstenu de laisser ces traces explicites leur préférant des "pistes subtiles" instillées dans ses oeuvres : "Mes livres, au fond, sont tout simplement de faux journaux intimes" - "Toute mon autobiographie est dans certains minuscules détails qui sont autant de points de repère".

Ce qui a l'avantage de son inconvénient à savoir que s'ouvre un vaste champ d'investigation d'analyse déductive et d'élaboration d'hypothèses. Et ce que les auteurs annoncent in limine : proposer "une biographie ayant la tension d'une inlassable découverte, d'une enquête sans cesse à recommencer".

Mais ces grandes espérances ne sont pas tenues car ils se gardent bien d'emprunter cette voie. A aucun moment, ils ne s'écartent de la compilation factuelle extrêmement documentée. Ils livrent un travail quasi universitaire méthodique, qui n'appelle aucune critique quant à son sérieux, et objectif, même s'il tend quand même vers la bienveillance à l'égard de leur sujet en qui ils voient "un précurseur, un visionnaire qui a posé les interrogations fondamentales dans bien des domaines, de l'écologie à l'urbanisme, du pacifisme au féminisme".

Ainsi, ils indiquent que cet éternel jeune homme, dont il n'a pas que l'allure, appartient à "cette génération désemparée de vivre en paix, après avoir traversé des massacres épouvantables" affectée par "un sentiment de mal-être, un mal de vivre" et que ses écrits antisémites et xénophobes s'inscrivaient dans le droit fil d'un "séculaire antisémitisme à la française aggravé de la xénophobie des années 30 liée à la crise économique et à la forte immigration".

Parfois, une phrase dérape pour s'écarter du politiquement objectif, comme sur la vie conjugale de Giraudoux avec une épouse acariâtre et dépensière, et ses multiples liaisons et aventures ("Comme drame bourgeois, on ne fait pas plus graveleux et on est loin de la grandeur homérique") ou les fins de non recevoir de son fils aux demandes de monter ses pièces après sa mort ("Les exigences de son fils, héritier et gardien autoritaire d'une tradition, soucieux en outre de sa propre carrière de dramaturge").

Alors que retenir de cette vie ? Quelques bribes. Un petit provincial brillant qui dès son installation à Paris tâte de la vie tourbillonnante du début du siècle et qui, après ses études et ses classes militaires, sillonne le monde pendant plusieurs années à la manière du voyage des grands hommes du 18ème siècle.

Un homme qui embrasse une carrière diplomatique en choisissant un poste relativement modeste lui offrant de multiples occasions de voyager tout en ne l'accaparant pas pendant les périodes sédentaires ce qui lui permet de se consacrer à l'écriture "aux frais de la princesse".

Un homme sportif et cependant à la santé fragile, un grand séducteur qui collectionne les maîtresses et pourtant ne paraît pas avoir de "tempérament", un écrivain à l'écriture laborieuse même si d'aucuns qualifient ses oeuvres de "féeries de sous-préfecture".

Davantage que des vies multiples, une vie "saucissonnée" en raison d'une indécision permanente au plan sentimental et d'une instabilité constitutionnelle sans pouvoir réellement s'inscrire ni dans la durée, ni dans la fixité.

Et puis une mort restée inexpliquée, sa veuve ayant de surcroît refusé l'autopsie. Empoisonnement, intoxication ou pancréatite ? Les auteurs indiquent qu'il traînait depuis quelques semaines sa bronchite annuelle et qu'il était "épuisé par la vie d'un Paris sans voiture et les répétitions de sa pièce Sodome et Gomorrhe". L'écrivain Roger Martin du Gard a une explication plus prosaïque : "Il se soutenait par les trop bons repas du marché noir et par l'alcool dont il aurait dû se garder avec les reins qu'il avait et depuis 1939 il n'avait pas fait sa cure de Vittel".

Et à l'issue des 451 pages de l'ouvrage, le portrait de l'homme et de l'écrivain est aussi flou que la photographie de la page de couverture.