Comédie dramatique écrite et mise en scène par Yann Reuzeau, avec Emmanuel De Sablet, Raphaël D'Olce, Walter Hotton, Didier Mérigou, Leïla Moguez, Manga N'Djomo et Sophie Vonlanthen.
Avec "Chute d'une nation", Yann Reuzeau s'est attelé à une fresque théâtrale d'envergure : une fiction épique et politique en 4 épisodes pour plonger de manière haletante, tant en la forme - quasi cinétique - qu'au fond, dans les luttes de pouvoir et les arcanes de la politique politicienne ce qui, de surcroît, s'avère particulièrement d'actualité compte tenu de la toute prochaine échéance électorale.
Le premier volet, tout à fait réussi, intitulé "La petite phrase", dévoilait la manipulation et la stratégie opérées au sein des hautes instances d'un parti, de gauche en l'occurrence et quelque peu en déroute, confronté à une élection présidentielle périlleuse face à une très populaire présidente sortante de droite assurée de sa réélection et la menace d'une poussée de l'extrême droite.
Pour éliminer un retour de flamme d'un vieux dinosaure du parti à l'auréole quelque peu ternie, est désigné d'office pour le rôle de bombe humaine un obscur député anonyme et laborieux qui se laisse prendre au piège de l'aventure et à la montée d'adrénaline qu'elle déclenche.
Ledit député, catalogué par ses homologues comme faisant du tourisme politique mais ayant reçu une belle audience médiatique, se pique au jeu et postule pour l'investiture de son parti. Ainsi, le deuxième opus, bien nommé "Fratricide", qui pourrait être sous-titré "campagne au bord de la crise de nerfs", immerge le spectateur dans les coulisses impitoyables d'une campagne pour les primaires.
Face à sa principale adversaire, campée avec assurance par Manga N'Djomo, une redoutable professionnelle sans états d'âme, pris dans la tourmente de ce qui s'avère davantage une course au pouvoir qu'un démocratique combat d'idées, Walter Hotton, impérial dans cette irrésistible ascension d'un député ordinaire fort de ses convictions et fiers de ses valeurs, connaît le baptême du feu avec son équipe de néophytes.
Dans son aréopage, naissent tensions et dissensions entre son assistante devenue sa porte-parole officielle dont la pugnacité et l'enthousiasme demeurent inébranlables (Sophie Vonlanthen subtile dans l'évolution d'un personnage qui s'affirme et manifeste des velléités d'ambition personnelle), la jeune militante propulsée chargée de communication qui commence à déchanter face aux réalités concrètes (Leila Moguez tout à fait juste dans la ferveur érodée) et son directeur de campagne submergé tant par ses problèmes personnels que par ce trio incontrôlable (Didier Mérigou qui passe du jeune loup au looser pathétique).
Par ailleurs, le rôle de la presse et du leadership économico-financier n'est pas oublié avec un journaliste à la solde d'un journal dit "d'opinion" enchaîné par les impératifs commerciaux de son employeur et un homme d'affaires ultra-libéral devenu un populaire gourou du micro-crédit qui marche à l'instinct, interprétés avec beaucoup de verve et d'humour à froid respectivement par Raphaël d'Olce et Emmanuel de Sablet.
La plume de Yann Reuzeau
est toujours aussi inspirée et efficace, intrigue rondement menée et dialogues vifs, et il a su décoder et distiller en édifiant nectar satirique le réalité-show politique. Par ailleurs, dans cette deuxième époque, il a su insufflé un rythme crescendo en introduisant des inattendus rebondissements et ajouter une tonalité supplémentaire en greffant les prémisses de relations extra-professionnelles qui intéressent l'intime des personnages.
Le spectacle à la mise en scène toujours aussi cinétique, impulsée par les scènes courtes d'une écriture à l'anglaise, est porté par le jeu nerveux des comédiens qui concourt à sa réussite ainsi qu'à l'addiction inexorable du spectateur qui se perdra en conjectures dans l'attente du prochain épisode. |