Initié en duo en 2005, le projet suédois Library Tapes s'était acquis dès le premier pas la petite gloire d'offrir du CD à moudre à ceux qui cherchaient – évidemment – un successeur au récent He Has Left Us Alone but Shafts of Light Sometimes Grace the Corner of Our Rooms de Silver Mt Zion, qui purent voir dans Alone in the bright light of a shattered life le digne prétendant à ce trône du minimalisme post-rockéen.
C'est pourtant un tout autre sillon qu'a creusé au fil des années le pianiste et bricoleur David Wenngren, abandonné par son compère guitariste Per Jardsell et seul auteur des quatre albums suivants. S'il est vrai que des accords brisés peuvent encore chanter quelque peu, c'est en effet plus du côté des atmosphères pianistico-abstraites de Sylvain Chauveau, de Max Richter, ou de l'américain Eluvium qui faudrait rechercher une parenté ; bref : dans ces espaces à la densité nulle, où l'expressionnisme des Gnossiennes d'Eric Satie est alpha et oméga.
On pouvait donc être curieux de découvrir l'artiste sur scène. On fut ravi, dans une Malterie recueillie, de le découvrir tout de retenue simple, sans affectation.
Courbé sur son piano, à peine éclairé, se tournant parfois pour soutenir ses mélodies en noir et blanc de quelques samples, sonorités inconnues, mélodie des bruits minuscules dans les interstices des rondes et des blanches.
En fond de scène, quelques projections photographiques. En couleur. Un univers poétique, tout préoccupé, lui aussi, d'un minimalisme très quotidien. Comme un regard simplement posé sur les marges de ce monde que nos pas enjambent trop vite.
Library Tapes confirme surtout sur scène ce que l'on pouvait penser avoir perçu avec ses derniers enregistrements (le tout récent Like green grass against the blue sky et son prédécesseur A summer beneath the trees) : la volonté de sortir d'un univers strictement nocturne. Pour poser, peut-être, sur le monde un regard fatigué, yeux mi-clos ; pour rêver, certainement, éveillé à demi ; mais sous une certaine chaleur retrouvée, solaire, fût-elle hivernale. À ce jeu-là, le public de la Malterie se sera volontiers laissé prendre, chacun sombrant dans la torpeur de ses propres divagations.
Quant à Rivulets, autre one-man-band à l'honneur ce soir-là, mais qui aura préféré la six-cordes aux quatre-vingt-huit touches du piano, on le comparera certainement, comme on compare toujours les chanteurs à la voix douce, à Nick Drake. Mais la comparaison n'est pas si pertinente. On évoquerait certainement plus justement la voix d'un Nick Talbot, la paresse d'un Hood façon Rustic Houses, Forlorn Valley ; on rappellerait que l'homme derrière tout cela, Nathan Amundson, est lié de près au label Remora et à des artistes tels que Jessica Bailiff, Low, Codeine... Là encore, un certain minimalisme, un goût du vide et de la simplicité. Peu étonnant que les deux hommes assurent ensemble une série de dates.
Le dispositif scénique est d'ailleurs des plus dépouillés : peu de lumière et aucun effet de manche. Un simple amplificateur, pas de pédales d'effet, un seul micro. L'homme et sa guitare, face à son public, pour ainsi dire. Au plus simple, au plus près de l'émotion.
Et si l'on peut être réservé sur la capacité d'une telle musique à se transposer sur scène, à en épouser les rituels (la durée, les applaudissements, le rappel...), il faut reconnaître que le public de la Malterie semble y avoir plus que trouvé son compte, ravi pour un vendredi soir sans acouphènes. Les punk-rockers seraient-ils devenus sages en découvrant le goût sucré de la beauté ? Car beau, tout cela l'était. Ce qui n'est déjà pas si mal. |