Comédie dramatique de Keith Huff, mise en scène de Benoît Lavigne, avec Olivier Marchal et Bruno Wolkowitch.
Si Keith Huff n'est pas connu du grand public, les noms auxquels on l'associe le sont. Il a monté "Pluie d'enfer" ("A steady Rain") à Broadway avec dans les rôles principaux Daniel Craig ("James Bond") et Hugh Jackman ("Wolverine"). Il coproduit la série "Mad Men" qui a remporté trois années de suite le Golden Globe de la meilleure série dramatique et le Emmy Award de la meilleure série dramatique. Il a aussi développé une série située à Chicago, "The Brothers Buczakowski", pour HBO.
Il s'avère que ce n'est pas un hasard si ce jeune auteur est issu de la génération qui a donné ses lettres de noblesses au format de la série télévisée. Comme dans un épisode de série télé, la gestion du temps de sa pièce se situe sur une période courte avec de brusques accélérations, c'est-à-dire que le drame raconté se déroule l'espace de quelques soirées, et l'auteur insère des flashbacks afin de donner au spectateur un nouvel éclairage au fur et à mesure que de nouveaux éléments apparaissent.
Les personnages à travers un événement traumatisant vont voir leur existence basculer, aussi bien au niveau professionnel que familial et intime. Les points de vue exposés au spectateur sont multiples.
Enfin on retrouve des personnages récurrents de la série policière américaine. C'est-à-dire ici deux policiers qui travaillent dans la rue en patrouille, l'un bon père de famille mais qui doit faire face à l'absence de considération sociale et des problèmes financiers, qui dès lors devient un peu ripou et brutal lorsqu'il enfile son uniforme, l'autre qui rumine ses états dépressifs en s'isolant de la société et trompe quotidiennement sa solitude avec une bouteille de bourbon.
On songera à la série "Sur écoute" ("The wire"). Pour le grand écran, on ne compte plus les films qui ont dessiné ce genre de portrait de flics, mais les personnages interprétés par Richard Gere et Ethan Hawke dans "L'élite de Brooklyn" sont ceux qui semblent les plus proches de Joey et Denny, les deux "héros" de "Pluie d'enfer".
La force du texte de Keith Huff est de ne pas tomber dans la caricature, de s'attarder d'abord sur la psychologie de ses personnages et de faire naître petit à petit chez le spectateur un véritable intérêt pour ces destins brisés et ces trajectoires crépusculaires.
La mise en scène de Benoît Lavigne, un peu statique, peine à rendre la tension entre les deux personnages, cependant le rythme du texte compense quelques périodes de flottement. De plus, les lumières de Fabrice Kebour parviennent à établir l'atmosphère sombre qui convient à la pièce.
Enfin, dans les rôles de Denny et Joey, on retrouve deux comédiens habitués aux rôles de policiers à l'écran. Bruno Wolkowitch fait preuve de retenue dans le rôle du flic solitaire et dépressif. Il est au début de la pièce effacé par son partenaire qui occupe beaucoup plus l'espace, mais il parvient à donner une consistance à Joey lorsque celui-ci doit faire face à son devoir, professionnel mais surtout humain.
Olivier Marchal donne une présence très forte à Denny. Il y a d'abord le physique un peu lourd de l'acteur, ses traits marqués, ses mains qui tremblent, ses genoux fatigués qui craquent lorsqu'il s'accroupit sur la scène. Lorsqu'il reste en arrière, tapi dans l'ombre comme une menace, de son regard perçant il parvient à électriser l'instant.
"Pluie d'enfer" est un polar américain, sec et contemporain destiné au théâtre. L'arrière-plan social et la tension qui sous-tendent ce drame peuvent s'avérer éprouvant pour le spectateur. Ils le sont sans nul doute pour Olivier Marchal et Bruno Wolkowitch qui interprètent avec brio ces rôles difficiles. |