C'est ce soir la première date de l'édition des Nuit de l'Alligator à la Maroquinerie, l'affiche est un mélange de découvertes, de jeunes musiciennes dont la notoriété grandi dans un buzz qu'aucune maison de disque n'oserait espérer et d'un musicien fait du bois dont on fait les meilleures guitares. L'ambiance dans la salle est détendue, les gens sont assis dans la fosse, seule la dizaine de photographes présents ce soir, sont debout face à la scène.
L'arrivée d'ARLT semble réveiller un tant soit peu le public, plongé dans des discussions de comptoir. Le duo, composé de la chanteuse, Eloïse Decazes et son comparse à la guitare et au chant, connu depuis quelques années sous le pseudonyme de Sing Sing, prennent place. Les deux musiciens se tournent autour, se rattrapent, s'éloignent pour mieux se retrouver. Eloïse fait des volutes avec ses bras, semble habitée lorsqu'elle chante. Au fil de leur set, savant mélange de chansons matinées de blues, la douce voie d'Eloïse et le jeu de guitare si particulier de son accompagnateur, envoûtent le public et finira par le pousser à se lever et finir par participer, mais pas beaucoup on reste à Paris tout de même. Les chansons de leur premier album La Langue (que je vous engage vivement à découvrir) sont de petites perles de douceur, que les textes pour le moins originaux, décalés viennent renforcer. Ces deux là ont créé un monde bien à eux et nous le font découvrir au fil de leur ballades. Le but du festival étant les découvertes de talents, on peut dire qu'avec ARLT, cela est réussi.
Place ensuite au canadien Michael Rault et ses musiciens, qui œuvrent dans un registre classique de blues-rock-pop. Un mélange des Blues Brothers, Huey Lewis et les Beatles pour le côté pop. Peu d'intérêt à cette prestation, malgré l'énergie déployée par le jeune musicien et sa bande. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose, un classicisme ennuyeux, on se croirait dans un film américain pour adolescents des années 80 (l'image de Huey Lewis s'impose à ce moment là). Le groupe "fait le job" rien de plus, c'est plat, c'est mou, pas d'aspérités ni le moindre relief. Il est temps de passer à la suite.
On ne devrait plus présenter Dick Annegarn et pourtant il semble que la jeune génération ait laissé de côté ce musicien d'origine hollandaise. Pour résumer, on dira qu'il s'est inspiré des racines de la musique (folk, blues etc.) et a inspiré ou accompagné les gens de sa génération durant quelques années. Il vient de publier un album de reprises de titres essentiels du blues Folk Talk. Une sorte de Who's Who musical, faisant revivre des chansons folk des héros oubliés de la musique, pour paraphraser le titre du livre de Nick Tosches.
Seul sur scène et bavard comme une concierge parisienne, M. Annegarn nous conte l'histoire des chansons avant de les interpréter, ce qui est très souvent drôle et instructif. Au menu des reprises, à noter "Georgia", dont le refrain sonne familier à nos oreilles, "Fever" et bien d'autres.
Pour l'interprétation de "My Girl" (immortalisée en son temps par Nirvana), un invité viendra l'accompagner, Raphaël. Puis Dick reviendra pour un rappel où il interprétera "Freedom" de Richie Havens, immortalisée à Woodstock.
Ces chansons prennent une dimension particulière lorsque Dick Annegarn les interprète à sa façon si personnelle. Son jeu de guitare qui lui est si propre et sa voix grave qu'il place en restructurant le phrasé original pour le faire sien, éclairent ces chansons sous un autre angle, improbable. Un bel hommage à ses racines musicales.
C'est maintenant au tour des nouvelles égéries du blues, celles dont la renommée grandit jour après jour, June & Lula. Sur la scène, June est à gauche assise sur un tabouret avec sa guitare, Lula sur la droite, pieds nus. Au milieu, un bassiste les accompagne. Dire que les demoiselles ont du talent n'est pas assez fort pour leur rendre justice.
Dès les premières notes et les entrelacs de leurs deux voix, les frissons commencent. Même si ce n'est pas ma tasse de thé, la qualité des interprètes et de leurs chansons est indéniable. Les deux voix se mélangent, se rejoignent pour mieux se fuir et se compléter.
Aucune ne prend le pas sur l'autre, de la complémentarité à l'état pur. Les textes parlent de sexe et d'alcool (souvent mélangés), des histoires complexes pour une musique à la simplicité fausse.
La guitare virevolte et la voix lui répond avec autant d'élan. June & Lula offrent une prestation haut en couleurs, le public s'il ne l'était pas déjà, est conquis et même plus. |