Il est un rock majuscule, bien au-delà des diamants de Catherine Lara, de la légende d'un Smet ; un rock qui s'écrit en longues phrases, belles d'équilibre, parfois précaire, riches et complexes ou percutantes ou minimalistes et intelligentes et riches de sens et évocatrices ou expressionnistes et inventives et osées ou instantanées classiques ; en riffs concis, à la ponctuation percussive ; parfois subordonné à la logique d'un chant, de ce que l'on pourrait avoir à dire ; un rock qui se déroule, sur disque, de sa première minute à son point final, extatique, usé, brisé – régénéré par un voyage immobile, l'ouverture soudaine sur la profondeur du vécu d'un autre, l'âme brûlée au bain bouillonnant de ses émotions, si semblables aux nôtres ; un rock artistique, en somme, qui laisse-là l'ambition marchande radiophonique télévisuelle populaire consensuelle grégaire à la mode d'une victoire ou d'un classement pour se porter aux nues d'une création faisant d'une disque un mode d'expression, une écriture à part entière.
C'est un tel rock capital que proposent les clermontois du Delano Orchestra pour leur troisième album : Now that you are free my beloved love, l'un des plus excellents disques pop-post-rock français du dernier trimestre 2010.
Gage de qualité, le disque paraît chez Kütu Folk, le label-collectif qui fait réaliser l'artwork à ses artistes et qui coud à la main des pochettes cartonnées, cherchant en cette ère très numérique à valoriser l'objet-disque autrement que par le prix de l'emballage plastique. Gage d'authenticité et de cohérence, l'album a été enregistré par le sextet en une seule prise de quarante six minutes.
On y retrouve les sonorités propres à la formation, alliant aux instruments traditionnels du rock violoncelle et trompette, avec un chant doux, parfois presque effacé, qui pourra parfois rappeler par sa capacité à allier qualités expressives, douceur et fragilité les frissons que nous avaient donné Thomas Méry (du temps de Purr ou Téléfax), Efrim Menuck (pour le premier Silver Mt Zion, par exemple) ou François Barriet (le temps du juvénile et exceptionnel I've got a really important thing to do but I can't do it right now because I'm asleep de Porcelain). On y navigue dans un univers très ample, narratif, évocateur, où une poésie de clair-obscur, si ce n'est de crépuscule, volontiers nostalgique, se laisse parfois glisser dans l'oubli de soi le temps d'un titre plus pop, presque d'un refrain, un peu à la façon dont le mélancolique trouve parfois un peu de soulagement à sa langueur dans un éclat de rire inattendu.
The Delano Orchestra trouve ainsi l'équilibre parfait d'un rock sérieux sans gravité, d'une émotion qui sait éviter un certain nombre de clichés, dont celui de l'auto-apitoiement, du désespoir feint, de la détresse convenue, du noir à tout prix. Si les compositions du sextet sont nocturnes, c'est d'une nuit baignée des clartés d'une lune ronde et bienveillante. Une nuit d'été, à la fraicheur bienvenue, dont la profondeur est une promesse plutôt qu'une menace. Il ne reste plus qu'à s'y perdre. |