Spectacle-concert conçu et mis en scène par Emma Dante d'après l'oeuvre de Euripide, avec Elena Borgogni, Alessandro Ienzi, Salvatore D’Onofrio,, Sandro Maria Campagna, Roberto Galbo et Davide Celona.

Emma Dante, dramaturge, comédienne et metteuse en scène palermitaine fortement ancrée dans son pays natal, transcende la "Médée" d'Euripide dans une partition qualifiée de spectacle-concert au format court, une heure, mais d'une force et d'une violence intenses, conçue comme un voyage autour de la figure de Médée d'où le titre "Verso Medea"(Vers Médée).

Et effectivement elle transcende ce personnage-monstre du théâtre antique et décline cette tragédie, qui puise son intrigue dans l'histoire mythologique des Dieux et des Hommes, en drame humain, celui d'une femme humiliée, bafouée, trompée, répudiée, sacrifiée sur l'autel de l'ambition et du futurisme reproductif et condamnée à l'exil.

Alors que Médée est enceinte de leur enfant, Jason, pour lequel son amour a été plus fort que la loyauté envers son père, lui a annoncé qu'il a négocié son mariage avec la fille du roi de Corinthe afin de fonder une nouvelle dynastie. La situation est banale et ordinaire si n'était la personnalité de Médée que Emma Dante conçoit comme "une barbare aux pulsions primitives qui ne reconnaît d’autre autorité que son propre instinct".

Et elle ne peut ni accepter ni se résigner et tant est forte sa douleur que sa vengeance va au-delà du crime passionnel qui tendrait à la mort de l'infidèle. Il doit vivre mais une vie dévastée de tout espoir par l'assassinat de la future épouse et du nouveau-né.

Sous les lumières caravagesques de Marcello D’Agostino qui subliment le lieu magique qu'est le Théâtre des Bouffes du Nord, les parti-pris de mise en scène de Emma Dante apporte une étrange singularité à l'opus qui intègre les codes de la tragédie antique tout en les déclinant selon un registre inattendu ce qui lui donne un aspect de patchwork à l'image de la couverture aux carrés multicolores qui sera le berceau et le linceuil de l'enfant.

Ainsi, l'aède est bicéphale, ce sont les Frères Mancuso, chantres de la musique traditionnelle sicilienne aux accents de bardes ancestraux qui pratiquent un chant polyvocal très particulier dont le sens, faute de surtitrage des paroles, demeurent inconnu mais qui, de manière intuitive, semblent annoncer l'irrévocable dénouement.

Le choeur se compose d'un quintet de femme-hommes au ventre sec qui sévissent comme les commères shakespeariennes, se lamentant tout en exacerbant la situation, mais selon le registre de la commedia d'ell arte, interprétés par les fidèles compagnons de route de sa Compagnia Sud Costa Occidentale, Alessandro Ienzi (également Jason héros pitoyable et veule), Salvatore D’Onofrio, Sandro Maria Campagna, Roberto Galbo et Davide Celona.

Enfin, la partie théâtrale est constituée presque essentiellement des soliloques de Médée aux prises avec une souffrance et une rage qui la conduisent au bord de la folie et assurée de manière époustouflante par Elena Borgogni, comédienne incandescente au jeu organique qui sidère et étreint, assure une magistrale performance.