J’ai fait l’amour avec la femme de Dieu est un roman de Serge Gonat aux éditions Myriapode (2012). Peut-être le livre le plus improbable de la rentrée.

L’histoire se déroule dans une communauté religieuse. Il semblerait que l’auteur ait la volonté de ne pas la situer précisément dans le temps et dans l'espace, universalité oblige. Cependant, un rapide recoupement d'informations permet de dégager les affirmations suivantes : communauté vraisemblablement chrétienne, Amérique du Sud, deuxième moitié du XXe siècle.

Les premiers chapitres du roman, prometteurs, sur fond de canular et de manipulation, s’ouvrent sur une lutte idéologique. Notre jeune héros, Bernado, se refuse de faire la lecture d’histoires érotiques à Madame Gilbert, de vingt ans son ainée. Mais cette dernière sait comment s’y prendre avec ce jeune coq et gagne la bataille des idées en remettant la virilité de Bernado en question.

Puis, très vite ça dérape, ils en viennent aux rapports charnels. Le livre aussi dérape, tout dérape... Comment finir le livre ? me disais-je (j’y retourne avec autant d'enthousiasme que si j’allais en Camargue en hiver). Très vite (au moins tout arrive très vite) le lecteur se demande : pourquoi ? Pourquoi avoir écrit un tel livre ? Pourquoi suis-je en train de lire ? Est-ce le titre qui m'a plu ? La quatrième de couverture sans doute, il y avait les mots "relations sexuelles et décadents" sur la même page… C’est que je suis un coquin, c’est ma faute…

Dans les grandes lignes, et en faisant très simple, voilà ce qui passe au bout de quelques chapitres : Bernado se déculpabilise en se convaincant que Mme Gilbert n’est pas le diable incarné mais la "femme de dieu". Le héros, Bernado, se scinde en deux et commence une épopée symbolique dans les entrailles de Mme Gilbert. Subitement lilliputien, il remonte l’intimité de la dame, puis la matrice, et se crée une mythologie/géographie – disons une mythographie – il atteint des endroits peuplés de monstres, de volcans, et de coulées de boues immondices. Bernardo se figure que ces monstres sont des esprits morts-vivants, vestiges d’expériences sexuelles passées, qui ont peut-être échoué à finir l’épopée qu’il a entrepris, lui. Son but ? Renaître de lui-même, réaliser sa transition enfant-homme en baisant la femme-mère jusqu’à l’épuisement. Sans rire. Il devra aussi se battre contre ses propres démons, et aussi contre son propre ami sourd-muet, Léo, qui désapprouve ses actes, les bras croisés, l’index papal dressé et inquisiteur. Le délire perdurera jusqu’à le dernière page.

Et pourtant des thèmes intéressant sont abordés tels que le sexe, la religion, l’émancipation des femmes… mais le personnage principal manque de consistance, et il est difficile de s’y identifier et de partager ses problèmes. On aurait aimé suivre un Raskolnikov dans les méandres de son cerveau, assister au théâtre d’une guerre entre l’obsession et la culpabilité. Mais le héros n’est pas de taille à entraîner le lecteur avec lui. Un deuxième bémol à cette triste histoire est l’omniprésence des métaphores filées, qui rend la lecture pesante.

Dans une interview accordée à Telesud, l’auteur confiait à la journaliste Patricia Drailline qu’il avait souhaité ne reculer devant aucun tabou. Il parlait des tabous des générations passées, peut-être, pour quiconque élevé dans la séculière application de la religion ; mais le lecteur moderne restera avec l’impression que M. Gonat a enfoncé des portes ouvertes.

Vous découvrirez de toute évidence une œuvre peu commune entre ces lignes mais, hélas, craignez que la pénibilité du style et l’inactualité de la thèse transforment ce charmant anachronisme en lecture consternante.