Réalisé par Ofir Raul Graizer. Allemagne/Israel. Drame.1h44 (Sortie le 6 juin 2018). Avec Tim Kalkhof, Sarah Adler, Roy Miller, Zohar Shtraus, Sandra Sade, Stephanie Stremle, Tamir Ben Yehuda, Eliezer Shimon, Sagi Shemesh et Tagel Eliyahu.
Le cinéma israélien sort rarement de ses "frontières". Une des particularités de "The Cakemaker" d'Ofir Raul Graizer est de se passer presque autant en Israël qu'en Allemagne, plus exactement autant à Jérusalem qu'à Berlin.
On aura compris, sans que le cinéaste ait besoin de grossir le trait, qu'on va remuer beaucoup de symbolique dans ce film qui brasse plutôt de la farine et de l'amour. Un symbolique dont l'auteur n'a peut-être pas tout à fait maîtriser la leçon finale, lui qui voit surtout l'histoire du côté de Sarah Adler, c'est-à-dire de la femme israélienne finissant par rompre les codes étouffants dans lesquels elle a été élevée et dans lesquels elle vit depuis la mort de son mari.
Pour résumer l'histoire, qui ressemble beaucoup à celle que Lubitsch raconte dans "L'homme que j'ai tué" et qui a fait l'objet récemment d'un remake de François Ozon, "Franz", Thomas part à Jérusalem pour rentrer dans la vie d'Anat et se substituer à Oren son mari décédé... qui était son amant quand il venait pour ses affaires à Berlin.
Bien entendu, il n'était pas question de bisexualité chez Lubitsch, et le pâtissier était un musicien français qui rentrait dans la famille allemande du musicien qu'il avait tué pendant la première guerre mondiale. Mais on le voit, le contexte géo-politique était déjà lourd. Ici, les circonstances mélodramatiques ont changé, mais peu à peu, le film dégage lui aussi un humanisme imprévu.
Thomas vivait une belle histoire d'amour avec Oren, son client israélien qui se régalait de ses gâteaux. Un jour, le bel israélien ne vient pas à son rendez-vous et les messages que Thomas laisse sur son portable sont sans réponse... Dès lors, le pâtissier décide d'aller enquêter en Israël : et découvre à la fois que son amant est mort et sa double vie hétérosexuelle... Comme Anat, la veuve d'Oren, tient un petit café, les choses se font naturellement : Thomas finit par travailler avec elle. Le goy berlinois va alors créer les meilleures pâtisseries casher de Jérusalem... Première transgression suivie à son corps défendant par une plus étonnante pour cet homosexuel brut de décoffrage... Anat va en faire le successeur d'Oren...
On devine toutes les situations qui vont s'en suivre. "The Cakemaker" d'Ofir Raul Graizer pourrait être un film grotesque par ce qu'il propose. C'est le contraire qui se produit : cette œuvre tout en nuances,sait se servir de tous les éléments perturbateurs (comme le beau-frère intégriste d'Anat) pour enrichir son récit, rendre sa complexité et ses invraisemblances plausibles. Il est servi par une actrice admirable, sans doute l'une des plus grandes actrices israéliennes, Sarah Adler, que l'on a vu récemment à son avantage dans "Foxtrot" de Samuel Maoz, et par le jeune acteur allemand, Tim Kalkhof à qui Ofir Raul Graizer a fait prendre une dizaine de kilos pour qu'il devienne un pâtissier berlinois homosexuel encore plus crédible...
Singulier dans son propos, ramenant la question allemande là où elle n'avait rien à faire, le réalisateur conçoit un film qui énonce beaucoup de choses contradictoires, les passe au tamis de l'amour charnel et spirituel. Thomas, le pâtissier allemand, fait le lien entre deux époux israéliens que la mort sépare. Évidemment, ce n'était pas Jules et Jim parce qu'Anat n'était pas au courant et qu'Oren la trompait. Mais les ruses de la vie qui provoquent une mort idiote font aussi naître des rapprochements inattendus. Elles font d'une Israélienne mal dans sa peau nationale une citoyenne du monde et transforment la sexualité d'un amoureux inconsolable d'avoir perdu son grand amour.
Dans sa simplicité transgressive,"The Cakemaker" d'Ofird'Ofir Raul Graizer est incontestablement un beau film.
|