Est-ce que tu vois le tigre ?
(Echo Orange / Cheptel Records) février 2018
Est-ce que tu vois le tigre ? demande ce second album du quintet helvète Le Roi Angus. Ouais, carrément. Je vois aussi les rayons en fusion avec les myriades de petits scintillements de surface, ça fait comme un tapis d’étoiles en fleur dans mes oreilles.
Psychédélie dansante à l’entêtant refrain, "La Wax" annonce la couleur : "J’baste out les complexes / Ouais j'clapse la wax / J'passe out le contexte / Ouis j'clapse la wax / J’laisse pas d’place aux complexes". C’est frais, c’est fun et c’est funk-madame. A donner des envies de sniffer de la poudre de betterave et de croquer dans des chips de méduse. Sans prise de tête et avec une apparente candeur, le groupe lance une poésie raffinée et des rythmes accrocheurs. Que demande le peuple ? Il veut s’éclater ? Et bien let’s go les amis !
D’une élégance folle, Le roi Angus déroule les dix titres de son album sur le fil de sa pop doucement rock et brillamment folk. Un texte bouleversant entre paradis touristique et enfer migratoire : "Pars en chasse sur la plage / Sur la plage, dans l’eau bleue / Pars en chasse sur la plage / Les corps flottent, merveilleux" ("Lesbos"), où les percussions dominantes étouffent les trois petites cordes pressées. Stupéfiant de paradoxes politico-humanistes.
Et puis les percussions deviennent manuelles et les rythmes s’élèvent au bout des doigts titillant les cordes dzouing : "Fatigué d’attendre que tu m’aimes / Fatigué d’attendre encore, encore un peu / Pour toi j’ai gravi l’Everest / J'ai peint des voûtes célestes / Pour toi j'ai délesté mon coeur d'ex / Tu sais j’ai trouvé tous les prétextes pour être à toi" ("Fatigué"), comme un duel de sentiments entre le déclarant et celui qui aime se faire désirer.
Les morceaux savent également être vaporeux et virent à l’élégie mélancolique inspirée par le silence d’un souvenir enneigé : "Je veux te dire / Je garde le souvenir de ces eaux claires / Quand on était deux / Je veux te dire / Je garde les yeux ouverts / Dans ces eaux claires qui nous ont vus mieux" ("La toundra"), comme on plonge dans un souvenir heureux, pour respirer cet air, sentir cette chaleur, se voir dans le souffle et entendre ces rires.
Du folk dans la brume et de la pop pour les brunes, des jardins merveilleux issus des légendes australes et de la manipulation politique, Le Roi Angus mêle la douceur au sel, avec beaucoup de goût et de talent dans Est-ce que tu vois le tigre ?. C’est chic, délicat et intelligent.